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oiseaux de jardin capturés : ils ont le calme et la résignation de ceux qui naissent en cage. Il nous semblait bien, à nous qui sommes des vieux et qui trouvions encore, en notre jeune temps, le moyen de passer au travers des mailles du filet et de n’apprendre, à l’ancienne mode, que ce qui nous plaisait, il nous semblait bien que les collégiens d’à présent étaient un peu trop sérieux, un peu trop raisonneurs, un peu trop satisfaits de tout ce qu’ils croyaient savoir, un peu trop désireux de le mettre à profit, un peu trop pressés d’exiger de la vie une compensation à leurs peines précoces, un peu trop « arrivistes, » pour employer un mot qu’ils ne dédaignent pas. Ne négligeons pas les néologismes : ils signalent toujours quelque nouveauté dans l’ordre des faits, des idées ou des sentimens et ont par là des droits à notre attention. Nous jugions bien aussi que la génération qui nous pousse était moins gaie que n’était la nôtre à l’âge similaire, moins insouciante, plus préoccupée du bénéfice et de la réussite ; qu’elle digérait assez péniblement tout ce qu’on l’a forcée d’engloutir ; qu’elle nous considérait, il est vrai, avec la déférence due à de vénérables et inutiles débris des temps périmés, mais aussi avec un certain dédain, en raison de notre ignorance maladroitement dissimulée de tout ce qu’on enseigne aujourd’hui. Pour tout dire, nous n’étions pas très à notre aise en conversant avec nos jeunes gens, car nous ne parlions pas tout à fait la même langue. Et nous trouvions une amère revanche à leur supériorité apparente en faisant cette réflexion cruelle que le prestige de notre pays n’avait point grandi, au cours du dernier siècle, en raison directe de la quantité de savoir mécaniquement ingurgité à nos héritiers. À l’époque où l’on n’apprenait aux enfans qu’à aimer l’étude et où l’on ménageait avec soin la personnalité de leur esprit et ses qualités natives, la France dictait ses lois au monde ; et servait de modèle à toutes les nations civilisées ; depuis qu’elle a emboîté le pas aux pédans étrangers et copié ce qui se fait autre part que chez elle, son auréole s’est ternie au point que, il y a quelques années, un homme d’État d’un pays ami du nôtre, mais chez qui l’affection n’atténuait pas le sens pratique, disait, tranquillement : « La France est aujourd’hui la première des nations de second ordre. » Nous redoutions surtout que de si radicales innovations ne parvinssent peu à peu à modifier le caractère chevaleresque, l’ardent enthousiasme et