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Cependant un joli visage rose, sous le béret de chasseur alpin qui laisse échapper quelques bouclettes d’une chevelure d’or, s’est penché vers le feu, qui fait briller d’une vive clarté l’azur de deux yeux lumineux et doux. Un souffle léger disperse la cendre et ranime la flamme de ce foyer improvisé. Déjà, au sortir de la nuit sournoise et hostile, nous nous sentons bien au chaud, comme dans la tiédeur d’un home familier. Et l’on cause, en hâte, sans arrêt, parce qu’on a beaucoup de choses à dire en peu de temps... Les enfans de Grécourt et du voisinage allaient nu-pieds. Une des jeunes filles de Smith College sait fabriquer des chaussures, manier l’alène, le tranchet, le ligneul comme un cordonnier de profession. Malheureusement, un gros stock de la provision de cuir qu’elle attendait d’Amérique, ces jours-ci, a sombré avec toute la cargaison d’un navire torpillé... Elle craint d’être obligée de chômer, en attendant qu’un nouveau convoi, plus favorisé du sort, lui apporte la matière première qui est nécessaire à son travail.

— Oh ! me dit une autre, avec une délicieuse vivacité de jeunesse et un accent modulé, nous voudrions des journaux illustrés, des magazines, des livres, beaucoup de livres, surtout des contes de fées, afin que nos pauvres enfans, au sortir d’une si sombre réalité, puissent faire encore de beaux rêves. Songez que, pendant trois ans, ils n’ont pas souri. Nous leur apprenons des chansons, des rondes françaises de l’ancien temps ; et, quand la belle saison sera revenue, nous les ferons danser sur l’herbe, dans le parc du château.

Elles adorent ces petits villageois, leurs enfans adoptifs. Elles sont, pour eux, des sœurs ainées. Elles ont résolu de les rendre heureux. Elles y réussiront, puisque rien ne résiste à la jeunesse du cœur, à l’amour du prochain, à la volonté d’agir.

On porte à ces braves gens du pain, dans les hameaux dépourvus de ravitaillement. On échange leurs vêtemens usagés contre des vêtemens neufs. Rien n’est perdu. Quand les lambeaux de vêtemens ont été lavés, bouillis, désinfectés à l’étuve, on fait des tapis de chiffons et des couvertures avec les découpures des vieux habits. L’infirmerie de Grécourt a trois nurses qui vont, à domicile, faire des enquêtes et se rendre compte, sur place, de l’état sanitaire de la région. Elles ne négligent point de donner, çà et là, quelques bonnes séances d’enseignement ménager.