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dans la fraîche clarté de deux grands yeux couleur de pervenche. Quel dommage de partir ! On voudrait demeurer plus longtemps, rester à loisir, en ce refuge de douce chaleur et de cordiale sympathie, rencontré à travers la nuit pluvieuse, au bout d’une longue journée de voyage. Le poêle, alimenté de coke et de bois sec, s’est décidé à ronfler. La lampe éclaire les trois couleurs d’un petit drapeau étoile qui s’arbore à un chevron de la charpente et nui domine cette scène dont les moindres détails sont américains à souhait. Le parfum du thé flotte en ce bon gîte, digne des héroïnes de Fenimore Cooper. Ce coin de France nous offre, dans le raccourci d’un cadre familier, un résumé de ce qu’est la douce Amérique, si mal connue, si étrangement défigurée par ceux qui n’ont voulu voir aux États-Unis que la fièvre des affaires et du plaisir. Mais il faut partir, quitter cette oasis d’intimidé. L’heure s’avance. Nous arriverons tard à l’étape prochaine. Avant de prendre congé de leurs visiteurs volontiers attardés, les demoiselles de Grécourt nous guident vers un pavillon qui a miraculeusement échappé aux dévastations des Allemands, et qui sert d’asile à quelques familles de rapatriés. Pour cette petite expédition nocturne, elles font jaillir la lumière de leurs lampes électriques. Et l’on dirait un étincellement de lucioles dans l’obscurité opaque de cette nuit d’hiver, près de cette tour, drapée de lierre, qui dresse une haute silhouette ébréchée parmi des arbres effeuillés et frissonnans. Il faut partir. Le moteur est en marche. Les phares sont allumés.

Good night !

Et les demoiselles de Grécourt, châtelaines d’un château en ruine, prendront un frugal repas du soir dans leurs assiettes à fleurs, sur leur toile cirée à carreaux bleus... Après quoi, elles iront se reposer, comme des soldats en guerre, sur des lits de camp, dans leurs baraques de bois


Blérancourt.

— Maintenant que nous avons vu les demoiselles de Grécourt, me dit M. Green, il faut faire visite aux dames de Blérancourt.

Blérancourt est une commune du département de l’Aisne, située à quarante kilomètres de Laon, dans le canton de Coucy-le-Château, dans les prairies humides où se dessine en molles