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en me reconduisant au seuil du dispensaire pour la visite des autres parties du poste de secours, vous avez pu voir, sur leurs visages pâlots, les traces de leurs souffrances physiques et morales. Trois ans d’épreuves, cela compte terriblement dans la vie d’un enfant. Nous essayons de leur donner de la santé, de la joie et aussi du travail en proportion de leurs forces renaissantes. Visiblement arrêtés dans leur croissance par les privations qu’ils ont endurées, ils ont besoin de tant de ménagemens ! À ces jeunes âmes effarouchées nous rendons la sociabilité par une rééducation dont le programme comprend d’abord la pratique des jeux. Ils ne jouaient pas, au temps des Boches. Ceux-ci les forçaient à travailler aux champs, sous la menace du bâton ou de la geôle. On leur faisait ramasser des pommes de terre, le dos courbé, du soir au matin. On les nourrissait à peine. Ils étaient épuisés d’atrophie, d’anémie. Maintenant, nous avons une laiterie, qui contribue à leur alimentation. Mrs. Arthur M. Taylor, de l’université de Virginie, a fait l’acquisition d’une douzaine de vaches en Normandie. Grâce à ce troupeau, cinquante-huit familles de Blérancourt et des environs reçoivent du lait à raison de huit sous le litre...

Le principe des dames de Blérancourt, comme celui des demoiselles de Grécourt, c’est que le don gratuit ressemble trop à une aumône, et qu’un juste souci de la dignité humaine exige un échange entre la main qui donne et la main qui reçoit. Les règles élémentaires de l’économie sociale veulent aussi que l’on mette de l’argent en circulation. D’ailleurs, si le rapatrié n’a pas d’argent, on accepte un paiement en nature, comme aux temps homériques. Un compte exact de ces échanges est tenu par le secrétariat, sous la direction de miss Edna Winslow, qui est venue, de Meriden (Connecticut). Dès qu’on a vendu quelque objet à très bon marché, on achète autre chose, notamment des instrumens aratoires et des semences. L’outillage agricole ayant été presque entièrement détruit par les Boches, un des premiers soins de miss Anne Morgan fut de se procurer des semeuses mécaniques. Déjà douze cents hectares de bonne terre sont emblavés. La station agricole de Blérancourt a distribué 6 500 arbres fruitiers, afin de remplacer ceux que les Boches ont abattus au moment de leur retraite. Les pépinières de Versailles, que dirige le lieutenant Truffaut, ont cédé une