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Plus loin, on me signale une table, fort bien faite, solidement établie d’aplomb sur quatre pieds amenuisés au rabot, avec des raccords de moulures obtenus sans boîte à onglets, par dessin direct. L’auteur de ce travail, expliqué avec une grande précision de termes techniques, est un petit bonhomme de dix ans, Maurice Cormier, réfugié d’Audignicourt ; son père, glorieusement blessé à Verdun, est réformé ; son grand-père, sa grand’mère, son oncle ont été emmenés en captivité par les Allemands. Sa maison est complètement ruinée. Son frère, Raoul Cormier, âgé de douze ans, ayant recueilli les débris des chevrons d’une toiture, quelques charnières en cuir, provenant de bretelles de fusil, un treillage trouvé dans les ruines, quelques rognures de carton goudronné, a construit, avec ces matériaux, une cabane à lapins.

Henri Dupargne (dix ans) a confectionné avec deux caisses, dont l’une est restée en l’état, non déclouée, et dont l’autre fut débitée en planches pour faire les pièces détachées, un beau pupitre où rien ne manque : les lattes débordent assez pour empêcher les cahiers de glisser ; les porte-plume reposent sur des rainures adroitement agencées ; une étagère porte-livres, un rayon intérieur, pour ranger les papiers, ont été imaginés par le petit constructeur, rendu ingénieux par la nécessité, comme Robinson dans son île. Lorsque tous les écoliers et toutes les écolières de Blérancourt auront des pupitres semblables, quels beaux devoirs seront calligraphiés pour les maîtres diligens et pour les dévouées maîtresses qui donnent leurs soins, de tout cœur, à cette enfance que l’expérience du malheur a faite si précocement pensive !

Pour ces pauvres petits, un dispensaire a été installé sous la direction de miss Florence H. Wright, née à Rome, dans l’État de New-York, et de miss May Toovey, née au comté de Warwick, en Angleterre. Au moment où nous entrons dans la salle bien chauffée où tout a été disposé pour le bien-être des convalescens, un chœur de voix enfantines chante la Marseillaise, comme un hymne de délivrance. Et jamais les notes vibrantes de notre chant national, rappris par des femmes de bien à ces captifs enfin délivrés, ne m’ont paru plus riches d’émotion profonde et d’ardente foi dans les destinées de la patrie.

— Vous avez vu ces enfans, me dit une infirmière américaine,