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dit, la menue monnaie. M. Stilgebauer est un enfant gâté du succès. On lui doit un des romans allemands le plus souvent réimprimés du vingtième siècle. Ce roman, Gœtz Krafft, qui suscita naguère des polémiques passionnées, ne se proposait rien de moins que de retracer dans la vie intérieure du héros, — jeune homme né vers 1870, — l’évolution typique de ces Allemands qui approchent aujourd’hui de la cinquantaine et qui jouent dans la tragédie actuelle un rôle capital.

Écrit et publié avant la guerre, Gœtz Krafft ne la faisait pas prévoir, bien que ce livre montre, d’une façon à vrai dire assez superficielle, les multiples influences subies par la jeunesse allemande. Gœtz Krafft passe par l’armée. Il fait à Munich son volontariat d’un an ; mais à la dure école du militarisme, il ne devient pas pangermaniste, tant s’en faut. M. Stilgebauer a mis beaucoup de lui-même dans le roman qui l’a rendu célèbre. Gœtz Krafft, comme M. Stilgebauer, — et comme Gœthe, — est né à Francfort-sur-le-Mein, ville jadis libre. M. Stilgebauer tient à faire connaître que Francfort n’est pas Berlin. Francfort serait plus près moralement de ce Munich où Gœtz Krafft s’initie sans ferveur au métier des armes. C’est une idée chère à M. Stilgebauer que cette distinction qu’il conviendrait d’établir entre l’Allemagne du Nord et celle du Sud. Celle-ci est la vraie Allemagne : l’Allemagne du Nord n’est que la Prusse. Façonnée par les Hohenzollern suivant des règles qui sont en contradiction avec l’idéal classique de l’Allemagne, la Prusse a perverti l’Allemagne.

La thèse de M. Stilgebauer peut être spécieuse : sous cette forme absolue, elle est inadmissible. La fusion des deux Allemagnes, la guerre l’a prouvé, est complète. Combien sont-ils, au surplus, les Allemands qui s’en affligent et qui ont le courage de leur affliction ? Ils se réduisent, tout compte fait, à une poignée de braves gens réfugiés en Suisse... ou dans les romans de M. Stilgebauer.


On voudrait admirer sans réserve les fictions romanesques où cet auteur a crié sa haine de la guerre allemande, mais ce n’est guère possible. Le bruit fait autour d’Inferno et du Navire de la Mort exige que l’on connaisse ces romans à l’étranger, mais le moyen de dissimuler au public français combien l’art en est sommaire ?

Mélanie de Berkersburg, l’héroïne d’Inferno, est une femme mal mariée, comme il y en a dans tous les pays du monde. Elle a épousé