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n’importe ce qu’il nous dit, n’importe ce qu’on lui a fait dire. Raisons pour l’offensive : l’Allemagne ne voudra pas attendre que l’aide américaine donne son plein effet ; sa situation alimentaire est pénible ; sa situation financière très difficile ; sa situation économique, avec la perspective d’un boycottage universel, très sombre et très précaire ; sa situation politique troublée, et, malgré la docilité, la passivité, la servilité de la nation, instable : c’est pour elle une quadruple ou quintuple nécessité d’en finir. Raisons contre : les Empires triomphent, dans l’Est, au delà même de ce qu’ils avaient rêvé : pourquoi attaqueraient-ils dans l’Ouest ? Attaquer, pour eux, ce serait s’obliger à la victoire, éclatante, accablante, écrasante ; un demi-succès serait un échec total. Eh ! oui, il leur fallait, dans le marasme où la disette avait plongé leurs peuples, faire sonner les cloches ; mais Lénine et Trotsky se sont pendus à la corde, et elles ont sonné. Cependant, il se pourrait que la vérité fût là. Les événemens de Russie ne paraissent pas avoir jeté l’opinion allemande en des transports d’enthousiasme, ni dans les milieux parlementaires, ni dans la presse, ni dans les masses populaires. La Courlande, la Lithuanie, la Livonie, l’Esthonie et la Finlande par-dessus la Pologne, c’est très beau, c’est trop beau ; la Grande Russie, derrière la Petite, c’est très vaste, mais c’est très lourd : que de régimens, ne fût-ce que de landsturm, on se condamne à y maintenir, ne fût-ce que pour y faire la police ! A supposer qu’on trouve du blé dans les greniers, comment le transporter, en l’état des chemins de fer, du matériel et des routes ? Une seule ressource, Odessa, la Mer-Noire et le Danube. Mais combien de semaines ou combien de mois ? Et du reste, y a-t-il tant de blé en Oukraine ? Quand l’Allemagne, pour allécher la Suisse, lui en promet, dit-on, des dizaines, des centaines de milliers de tonnes, c’est un joli bluff. Rappelons-nous que les approvisionnemens ou bien ont été brûlés, ou bien ont pourri faute de soins, ou bien sont disséminés, cachés, immobilisables ; et que le paysan s’est contenté de gratter la surface de son champ, en a fait tout juste pour lui. Nous le savons, il y aura les futures récoltes, et l’Allemagne, en prévision, expédie des wagons entiers d’instrumens agricoles, mais ce n’est pas encore la prochaine qui nourrira l’Europe centrale. Les têtes sont remplies, ou, comme on dit maintenant, les crânes ont été bourrés de songes magnifiques, mais les estomacs restent vides. La fin de mars, le commencement d’avril devaient précisément marquer le point le plus aigu de la crise. Nous y sommes ; cette unique et péremptoire raison a effacé toutes les autres. On crie à l’Allemagne : « Des conquêtes, des terres, des