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Allemagne les militaires ont depuis longtemps l’habitude d’être les maîtres. En face des grandes nations libérales chez qui le principe Cedant arma togæ est entré depuis longtemps dans les mœurs comme dans les constitutions, le royaume de Prusse est resté, en plein XXe siècle, un anachronisme féodal et militaire. La guerre fut, de tout temps, son « industrie nationale » et la Prusse, depuis 1871, gouverne l’Allemagne et la façonne à son image. Les militaires composent exclusivement l’entourage du souverain, ils pénètrent l’administration et la diplomatie. Même la constitution actuelle des Chambres y assure la prépondérance du parti conservateur agrarien, c’est-à-dire de la caste militaire.

On a pu se figurer l’an dernier à l’étranger qu’une opposition se dressait en Allemagne contre l’élément militaire. La majorité du Reichstag a voté une « résolution » en faveur de la paix « sans annexions ni indemnités. » Le gouvernement a fait cette formule sienne, — pour le dehors, — car il continuait à distribuer à ses soldats des brochures pangermanistes. Il était facile, dès cette époque, à quiconque ne voulait pas s’illusionner, de découvrir l’hypocrisie de la formule allemande et d’apercevoir quels projets d’annexions déguisées et de conquêtes économiques elle dissimulait. Aujourd’hui, les tractations de Brest-Litovsk ont déchiré tous les voiles.

Serons-nous assez fous pour compter, comme le gouvernement des Soviets, sur le désir de paix du peuple allemand qui souffre, sur l’ouvrier et sur le paysan allemands ? Peut-être un jour, quand nous aurons battu l’armée allemande ; mais maintenant non. Retenons l’histoire des grèves de Berlin de janvier dernier, réglées en un tournemain par le général von Kessel, gouverneur des Marches. Un roulement de tambour annonçant la suspension des garanties constitutionnelles ; toute réunion, même privée, interdite : quatre jours après, sans l’ombre d’une résistance, la grève avait pris fin.

Allons plus au fond des choses. C’est toute l’éducation nationale (la plus grande force de l’Allemagne contemporaine) qui a créé l’orgueil de domination, la folie de conquêtes, comme la docilité du peuple allemand. A cette forte discipline nationale, dont nous ne devons point trop médire, s’ajoutent, dans un enseignement raisonné, suivi, prolongé, le culte des victoires militaires, la doctrine que l’intérêt supérieur de l’État