Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/735

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

militaires, dit-on, n’avancent pas ; atteindront-elles leur objet ? Depuis trois ans on se bat sur notre front dans les mêmes tranchées. Les Allemands ne perceront pas nos lignes ; nous ne percerons pas les leurs... » (Ce qui revient à dire : nous ne battrons pas les Allemands, puisqu’ils ne sont pas encore battus.) On dit encore : « Nos sacrifices ont été assez grands ; nous ne voulons plus d’offensives qui coûtent trop de vies humaines. Nous avons en main l’arme économique, l’arme morale, etc., etc. Attendons l’ennemi. S’il nous attaque, nous le repousserons. Après son échec, sa lassitude sera telle que les armes lui tomberont des mains. »

Ces théories, si elles se répandaient, seraient néfastes. Si jamais elles devaient prévaloir auprès de ceux qui nous gouvernent, elles nous prépareraient les plus douloureux réveils.

Ce serait une étrange illusion, après quatre ans de guerre, de compter sur le blocus seul pour réduire nos adversaires. L’importance du blocus est capitale, et j’y reviendrai ; mais ses effets sont lents et incertains. Attendre, laisser faire l’ennemi, n’a jamais conduit à aucun résultat. Les formes nouvelles prises par la guerre, — la prédominance de la guerre de tranchées sur la guerre de mouvement, — ne doivent pas nous cacher son essence, qui ne change pas. Le plus vieux principe de la guerre est que seule l’action, seule l’offensive mène à des résultats.

Vaincre, c’est obtenir que l’adversaire se croie vaincu, qu’il « lève les mains pour se rendre. » Il est arrivé parfois, dans l’histoire, qu’après un seul coup vigoureusement assené, l’un des partis ait renoncé à la lutte ; ce fut le cas pour l’Autriche après Sadowa. Mais ces exemples sont rares. Quand un peuple a le sentiment national développé, quand il est décidé à mettre tout en œuvre pour se défendre, une succession d’efforts a toujours été nécessaire pour user ses ressources matérielles et plus encore sa résistance morale. Après quoi, une dernière bataille (qui fut décisive parce qu’elle vint à son heure) a persuadé le vaincu de son impuissance. Les journées d’Austerlitz, de Friedland, de Wagram, ont été chacune l’aboutissement d’une série de combats ; la fin de la résistance de la capitale, en 1871, a décidé la France à se rendre. User l’adversaire, puis le battre, c’est en quoi se résume l’histoire de toutes les guerres du passé.