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Cette conception est toujours vraie ; mais il est nécessaire de la mettre à l’échelle de la guerre actuelle : la grandeur des effectifs, la puissance des moyens matériels mis en œuvre ont changé en effet toutes les conditions du problème.


Du temps des armées de métier, le peuple qui s’engageait dans une guerre déléguait, pour ainsi dire, la défense de sa cause au chef qu’il avait choisi, aux troupes qu’il avait, de longue date, recrutées, instruites, armées et organisées pour ce but. Vaincre, — disait-on dans les cours de tactique, — c’est détruire les forces organisées de l’adversaire. Le génie d’un Napoléon a fixé la forme de guerre correspondant aux conditions qui étaient celles de son temps : articuler ses forces, de façon à les mouvoir rapidement et à se trouver en mesure de les réunir, pour s’assurer la supériorité numérique sur le point décisif ; viser la masse principale de l’adversaire et la détruire, ou, plus exactement, la désorganiser et la démoraliser par un grand coup ; puis exploiter la victoire par une poursuite implacable, enlever ainsi à l’adversaire toute possibilité de rassembler les réserves ou les débris qui lui restaient et de les réorganiser pour reprendre la lutte.

Dans la stratégie napoléonienne, tout l’effort de la guerre converge vers la bataille : le chef manœuvre pour engager la bataille dans les meilleures conditions, il la gagne, il l’exploite. La phase préalable de la guerre d’usure peut être réduite au minimum et la victoire gagnée presque d’un seul coup. Sur le champ de bataille même, le chiffre des effectifs mis en œuvre et la portée des armes employées il y a cent ans, permettaient au regard du chef d’embrasser tout le terrain de la lutte. On s’engageait partout ; chacun des deux adversaires s’efforçait d’infliger à l’autre le plus de pertes possible, de le forcer à dépenser ses réserves sans engager les siennes propres (phase d’usure de la bataille). Puis, le plus souvent, grâce à la manœuvre habile ou heureuse d’un des partis, grâce à une supériorité locale quelconque, une rupture d’équilibre se produisait. Une des deux armées était battue sur un point. L’ébranlement se propageait de proche en proche ; la peur, la croyance à la défaite gagnaient l’ensemble des combattans ; le parti vaincu était moralement dissous, il ne tardait pas à l’être