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des pays belligérans forme pour les armées d’opérations un réservoir de renforts, non pas inépuisable, mais long à épuiser.

Il résulte de ces considérations, non que la victoire militaire est impossible, comme certains affectent de le croire, non que la défensive l’emporte sur l’offensive, ce qui est le contraire du vrai, mais bien qu’aujourd’hui la victoire va d’un pas plus lent et qu’elle est soumise à de tout autres conditions, à de tout autres préparations que dans le passé.

Si les deux partis ne sont pas très inégaux en force, si leurs troupes sont à peu près de même valeur, le seul résultat d’une bataille sera le plus souvent d’avoir imposé à l’un des deux adversaires une diminution, une usure plus grande qu’à son vainqueur. Une victoire décisive doit être regardée comme très difficile à obtenir, même pour un parti possédant une certaine supériorité de moyens, tant que l’adversaire dispose, en arrière de son front, de réserves stratégiques importantes et tant que le moral de ses troupes reste élevé. Elle deviendra facile le jour où les réserves de l’ennemi seront épuisées et où son moral aura baissé.

L’importance de la lutte d’usure, par rapport au choc final, s’est démesurément agrandie. La victoire ne peut plus être obtenue sur un seul champ de bataille ; elle résulte d’une série d’efforts, de batailles successives. La Marne, l’Yser, Verdun, la Somme, les chocs immenses du front russe, la bataille du 16 avril 1917, la bataille des Flandres, tous les flux et reflux des trois dernières années de guerre, ne seront pour l’avenir que des phases successives de l’usure allemande, préparant la rupture d’équilibre finale.

Non seulement la lutte d’usure s’est agrandie et prolongée, comme aucun des belligérans ne l’avait prévu ; mais elle s’est étendue à des domaines nouveaux. Le perfectionnement du matériel de guerre, les exigences particulières de la guerre de tranchées, ont accru de beaucoup sur le champ de bataille l’importance du facteur-matériel, par rapport au facteur-hommes. On prodigue les munitions pour épargner les soldats. Des milliers de projectiles sont dépensés pour un simple coup de main ; les chiffres des consommations d’une grande bataille de plusieurs jours dépassent l’imagination. Par suite, le chiffre du rendement de la fabrication en munitions est devenu un facteur important des décisions du commandant en chef. Ce