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devint le refuge des dissidens, des « défroqués du romantisme ; , » comme Sainte-Beuve et Planche.

Dès lors, tout ce que Musset écrivit, sauf Lorenzaccio, Louison et Carmosine, fut publié par F. Buloz. D’ailleurs, par la suite, un attachement très sûr, fait d’admiration chez Fun, de reconnaissance chez l’autre, devait unir le directeur de la Revue à son poète préféré.

Paul de Musset rend hommage à l’amitié de F. Buloz quand il dit : « Tout ce que le poète nouveau offrit à la Revue y passa sans difficulté ; je dois même ajouter que son admission à la collaboration de ce recueil littéraire ayant éveillé des jalousies et donné lieu à des récriminations, le directeur prit sa défense et le maintint dans sa position avec une fermeté qu’il fallut pousser jusqu’à l’entêtement [1]. »

Au moment où il écrit dans la Revue pour la première fois, Musset a vingt-deux ans : pourrait-on deviner ces vingt-deux ans chez l’auteur de Namouna ?


Pauvres gens que nous tous ! Et celui qui se livre
De ce qu’il aura fait doit tôt ou tard gémir !
La coupe est là, brûlante, et celui qui s’enivre
Doit rire de pitié s’il ne veut pas frémir !
Voilà le train du monde, etc..


Cependant, quelque désabusé qu’il veuille paraître, sa jeunesse rayonne dans tout son génie ; et son ardeur à mépriser, à haïr, à aimer, puis à maudire et à désespérer, c’est sa jeunesse encore.

F. Buloz, qui était « attiré par les supériorités » et « sensible au talent à un degré extraordinaire, » ne pouvait pas ne pas ressentir l’attrait de cette nature, si richement douée. « Il avait voué à Musset une affection profonde. Quelle admiration émue lorsqu’il s’exprimait sur le génie du poète ! Quelle énergie à le défendre lorsqu’il le sentait attaqué [2] ! »

Musset le savait. Et puis, le poète, qui travaillait à ses heures, était toujours désargenté, La Revue n’était guère riche, pourtant son directeur ne savait rien refuser à Musset. Un contemporain a écrit : « On a souvent parlé de conditions coercitives, donnant donnant : « Apportez-moi une comédie, et vous

  1. p. de Musset, Biographie d’A. de Musset.
  2. E. Montégut, Nos morts contemporains.