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Mais, sitôt que je prends la plume à ce dessein,
Je crois prendre en galère une rame à la main. »
Qui croyez-vous, mon cher, qui parle de la sorte ?
C’est Alfred, direz-vous, ou le diable m’emporte !


Et la fin :


Après cela, mon cher, je désire et j’espère
(Pour finir à peu près par un vers de Molière)
Que vous vous guérirez du soin que vous prenez
De me venir toujours jeter ma lyre au nez[1] !


J’ai souvent interrogé ma mère au sujet d’Alfred de Musset ; elle avait gardé de lui, au fond de sa mémoire, deux images puériles et singulières, l’une du poète jeune, l’autre d’un Musset vieilli et attristé qu’elle ne pouvait oublier. Voici la première. Musset habitait alors rue de Grenelle.. Un matin, F. Buloz vint l’y voir avec sa petite fille ; la visite terminée, et en causant, le poète reconduisit son directeur rue des Beaux-Arts ; à son tour, Buloz ramena Musset rue de Grenelle ; bref, toujours discutant, les deux hommes firent le trajet plusieurs fois de suite : Musset et ses amis aimaient fort ce genre de promenade. Dans ces allées et venues sur le quai, la fillette avait remarqué une boutique de quincaillerie qui lui semblait la plus belle du monde ; il y avait là des petites casseroles brillantes, et quelques-unes étaient si mignonnes que sûrement c’étaient des casseroles de poupées ! Il y avait aussi des passoires, dont les formes étaient étranges, des moules, des cafetières, et des bouillottes de cuivre pansues et luisantes, qui s’alignaient sur le trottoir par rang de taille, et en flûte de Pan. Tout cela tentait l’enfant, et chaque fois que l’on passait devant la boutique, elle tirait son père par la main. Pour en finir, F. Buloz acheta une cafetière, qu’il donna à sa fille. Alors Musset rit, et dit à son ami : « Mon cher, vous avez une fille qui me semble avoir des dispositions bien déplorables pour les joies du ménage. »

Le second souvenir datait de moins loin. « Une fois, me disait ma mère, il y avait un diner à la maison, je m’étais faufilée dans la salle à manger pour tâcher de pincer un petit

  1. Sur la Paresse : à F. Buloz.