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Quelque temps avant le duel Planche, F. Buloz était allé à Londres pour les affaires de la Revue ; il s’y trouvait en juillet 1833. C’est à Londres, à la date du 4 juillet, qu’il reçut la lettre qu’on va lire, signée George Sand, mais écrite peut-être avec la collaboration de Musset. Quoi qu’il en soit, cette lettre renferme la première idée du Songe d’un Reviewer que Musset adressait à son tour a F. Buloz, en novembre de la même année : il serait curieux que cette première idée fût de George Sand.


« Mon cher Buloz,

« Avez-vous fait un bon voyage ? Etes-vous vivant, avez-vous oublié nos querelles, mes violences, vos fureurs, les rages de Planche, les grincemens de dents de Dumas, etc., etc. ? Nous nous sommes quittés comme une bande de chiens hargneux ; depuis ce temps, Planche a sommé Dumas de lui rendre raison. Dumas a tué Planche. Planche a fait son testament en votre faveur, et vous a légué ses œuvres complètes en 42 volumes, in-8, composées d’un discours sur la modération, d’un traité sur les ophtalmies, et d’une dissertation sur les racines grecques. Sainte-Beuve est sur le point d’épouser une jeune personne qu’il a enlevée ; M. Alfred de Musset s’est brûlé la cervelle après avoir perdu 37 000 francs au jeu. M. Ampère est parti pour l’Allemagne, M. Lacordaire pour l’Amérique du Sud : Barbier va épouser une lady et se fixer en Angleterre. M. de Vigny est devenu fou, et M. Magnin aveugle. Voilà ce que c’est que d’abandonner la Revue. Quand on revient, on ne trouve plus personne. Il ne vous reste plus que lord Feeling [1], qui est revenu d’Espagne, et le poète de Dieu [2] qui vient de faire paraître un très beau poème sur les étoiles fixes. Pour moi, je suis veuve. J’ai eu le bonheur d’enterrer mon mari, je suis rentrée dans la jouissance de mes biens, et suis décidée à ne plus m’occuper de littérature.

« Néanmoins, comme il me reste quelques dettes à payer, provenant du cher défunt, je vous prie, mon ami, de ne pas mettre en oubli l’affaire dont vous avez eu la bonté de vous

  1. Fontaney.
  2. Il existe une copie de cette lettre de la main de F. Buloz ; à côté de ces mots « Poète de Dieu, » entre parenthèses, il a écrit : Duveyrier.