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l’apprenait (et il suffit de deux personnes pour dire un secret à tout Paris), elle en deviendrait folle. S’il faut qu’elle apprenne son malheur, se charge qui voudra de le lui apprendre. Mais si dans quinze jours, Alfred est hors de danger, il est inutile qu’elle se désole à présent. Adieu, tout à vous.

« Alfred se tourmentait beaucoup hier, pendant sa fièvre, de ce que vous n’aviez pas payé cette dette de 360 francs. C’était une dette de jeu, envers des gens assez grossiers, et qu’il connaît peu. Cela peut l’exposer à de mauvais propos de leur part. Et même plus tard à se battre. Je vous en prie, acquittez cette dette. Si j’avais le malheur de le perdre, soyez sûr que j’acquitterais toutes les avances que vous lui auriez faites, et celle-là n’est pas considérable.

« Il n’a plus le délire ce matin, mais il est accablé par la fièvre. Je crains qu’il ne soit plus mal. Je suis dans une incertitude affreuse. Il ne veut rien faire de ce que lui prescrit le médecin. Il prétend que ses remèdes lui font du mal [1]. D’une part, je crains que le traitement doux que je lui fais suivre ne suffise pas. De l’autre, je crains que les médecins d’ici ne soient des empiriques qui le tuent. Ah ! Quelle position ! Qu’est-ce que j’ai fait à Dieu ? »


« 13 février.

« Mon ami, Alfred est sauvé, il n’a pas eu de nouvelles crises, et nous touchons au quatorzième jour, sans que le mieux se soit interrompu. A la suite de l’affection cérébrale, il s’est déclaré une inflammation de poitrine qui nous a un peu effrayés pendant deux jours. Il y avait déjà un crachement de sang, mais les vésicatoires ont fait un très bon effet, et les médecins n’ont plus aucune inquiétude. Je ne serai tranquille, pourtant, que quand cet affreux quatorzième jour sera passé. Alors j’écrirai à sa mère ; jusque-là, une rechute est encore possible ; cependant, il y a tout à espérer que cela n’arrivera pas. Il est en ce moment d’une faiblesse extrême, et il extravague encore de temps en temps. Il demande des soins continuels, le jour et la nuit. Ainsi, croyez bien que je ne cherche pas de

  1. Musset était soigné par le docteur Santini, auquel succéda l’illustre Pagello. Alfred Tattet écrivait que Pagello avait remplacé auprès de Musset « un âne qui le tuait tout bonnement. «(Lettre d’Alfred Tattet à Sainte-Beuve, La véritable histoire d’Ella et Lui.)