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son tour, se dérobe, car il n’en peut plus. C’est aussi le moment où elle écrit ce fameux journal, soi-disant inédit et que tous les écrivains depuis trente ans ont pillé. Magnifique journal d’une nouvelle Marianna Alcaforado, plus vivante, plus terrible encore que la première. Ce sont d’orageuses périodes, bonnes périodes romantiques, avec tous les accessoires de l’époque : imprécations, rugissemens d’amour, ruisseaux de larmes, nuits passées devant la porte de l’amant, chevelure coupée pour lui, — et l’indispensable crâne romantique. — F. Buloz note : « Achat d’une tête de mort pour enfermer la dernière lettre d’Alfred — et de nouveaux pleurs chez moi le 13 octobre. Sainte-Beuve s’interpose entre G. et A. »

L’achat de ce crâne, coffret macabre, n’est-il pas une chose étonnante ? Quel dessin de Célestin Nanteuil pourrait illustrer assez magnifiquement ce geste de l’amante éperdue, enfermant la dernière lettre de l’amant dans une tête de mort ? Et qui dira jamais le rôle triomphant que joua en France le crâne humain, de 1820 à 1848 ?

Les notes qu’on a lues sont écrites au dos d’une lettre de George Sand. Cette lettre porte aussi cette remarque : « 29 novembre 1834. Les dîners chez Pinson à la suite de la rupture avec A. de Musset, » et la lettre : « Venez me voir tantôt, mon ami. Je tacherai que vos placards soient corrigés, et nous irons diner avec mes enfans chez Pinson, à 50 centimes par tète [1]. »

Enfin, en janvier, elle réussit à reprendre Musset et l’an- nonce triomphalement à A. Tattet, qu’elle n’aime guère, car il est depuis longtemps partisan de la séparation définitive : « Monsieur, il y a des opérations chirurgicales fort bien faites, et qui font honneur à l’habileté du chirurgien, mais qui n’em- pêchent pas la maladie de revenir... »

La maladie, cette fois, et vraiment c’en était une, et ter- rible, ne dura que deux mois : en mars, tout était fini. F. Buloz le note sur les lettres de George Sand : « 11 mars 1835. Sa séparation nouvelle avec A. de Musset. » Voici la première de ces lettres, qui est de Nohant :

  1. Voici une seconde lettre de George où elle donne rendez-vous encore à F. Buloz chez Pinson :
    « Mon cher Buloz, renvoyez-moi donc mes revues, sacrebleu ! Quelle tête que la vôtre ! C’est la vivante image de la Revue des Deux Mondes ! On croit qu’il y a quelque chose dedans et précisément il n’y a rien ! Et mon argent, bourreau ! A ce soir chez Pinson. »