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ses trop lointains triomphes ; ni l’avilissement systématique des procédés de combat adverses, qui ose faire de Guynemer, — du fou, du téméraire, de l’invraisemblable Guynemer, du Guynemer aux avions et aux vêtemens percés de balles, du Guynemer qui se bat toujours de si près qu’il risque d’accrocher ou de traverser l’adversaire, — un aviateur timide et prudent, profitant de ses compagnons de chasse et esquivant la lutte ; (mais celui qui l’a descendu, qu’a-t-il donc raconté ? Si Guynemer qui a engagé le combat à quatre mille mètres a été tué à 700, c’est qu’il l’a prolongé, et prolongé au-dessus des lignes ennemies qu’il n’a pas craint de survoler si bas, appliquant jusqu’au bout sa méthode d’incroyable audace) ; ni enfin, ni surtout, la bassesse, l’ignominie, l’infamie qui prête à des prisonniers la vente de leur plus glorieux camarade et attribue à des aviateurs français la dégradante insinuation. Non, rien n’y manque en vérité. Il faut encadrer ce texte. De quel rire jeune et frais, de quel rire au-dessus du mal, l’eût accueilli Guynemer ! « L’homme qui t’insulte, écrivait jadis Villiers de l’Isle-Adam s’inspirant de la philosophie hégélienne, n’insulte que l’idée qu’il a de toi, c’est-à-dire lui-même. »


Comme dans cette fameuse soirée du 25 mai où tout ce qui vivait à l’ombre de la VIe armée, averti de la quadruple victoire aérienne de Guynemer, vint entourer sur une colline de l’Aisne le camp d’aviation du vainqueur, toute la France, portant le deuil de ce capitaine, veut entourer sa mémoire.

Au service célébré le 18 octobre à Saint-Antoine de Compiègne, Mgr Le Senne, évêque de Beauvais, prend pour texte de son oraison funèbre ce passage des Psaumes où David déplore le sort de Saül et de ses fils tués sur les cimes, mort que tout d’abord l’on cache au peuple, afin de ne point réjouir trop tôt les Philistins et leurs filles. Le général Débeney, chef d’état-major général, représente le général en chef ; les Gigognes sont là, toutes les Gigognes survivantes et leur ancien chef, le commandant Brocard, et le nouveau, le capitaine Heurtaux dont l’entrée fait courir dans l’assistance un frisson d’émotion, car il marche péniblement, appuyé sur deux béquilles et il est si pâle, — il s’est évadé de l’hôpital pour se tramer jusque là, — qu’on s’attend à le voir tomber. Le matin même, un messager, le chef d’escadron Garibaldi, envoyé par le général Anthoine,