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sa curiosité intellectuelle, la tendance mystique et superstitieuse qu’on remarque en son esprit, de ses sujets rudes et réalistes, il représente bien néanmoins l’âme bulgare, âpre au gain, furieusement vindicative, dévorée de convoitises et de cupidités. Sa politique tour à tour sinueuse, perfide ou brutale, est comprise et approuvée par la nation. Si celle-ci lui a fait parfois un reproche, c’est de ne pas travailler aussi vite que l’aurait souhaité l’impatience de ses appétits. En réalité, l’ambition du Tsar a toujours été plus vaste que celle de ses sujets.

Le peuple bulgare avait pris conscience de lui-même, il s’était senti une âme nationale, après la publication de Tirade du Sultan Abdul Aziz lui accordant en 1870 une existence religieuse, distincte de celle des Grecs de l’empire, La création d’un exarchat bulgare a brisé les chaînes spirituelles qui liaient ce peuple à l’hellénisme sous la férule du patriarcat œcuménique. Il est curieux de constater que, parvenu le dernier à l’indépendance, il a vite dépassé ses voisins balkaniques, non pas en civilisation, mais en aspirations démesurées.

Une expression courante désigne les Puissances germaniques comme des nations de proie. La Bulgarie peut être rangée dans cette catégorie, empruntée à l’histoire naturelle : c’est l’épervier qui veut voler sur les traces des grands rapaces. On l’a appelée, dans le même ordre d’idées, la Prusse des Balkans. Quoique le Bulgare ne ressemble guère au naturel de la rive droite de l’Elbe, qu’il soit aussi égalitaire et aussi démocrate que l’autre est respectueux des privilèges nobiliaires et courbé sous l’autorité de ses rois, l’exemple de la Prusse a certainement troublé la cervelle des politiciens de Sofia. Quant à Ferdinand Ier, il a espéré sans nul doute résumer en sa personne toute la dynastie des Hohenzollern, depuis Frédéric II, le ravisseur de provinces, jusqu’à Guillaume Ier, le fondateur d’un empire agrandi aux dépens de ses voisins.

Une couronne impériale, — et quelle couronne ! — celle de Constantin et des empereurs byzantins, voilà donc ce qu’il a eu devant les yeux, dès qu’il a mis le pied sur ce sol mouvant de l’Orient, où se sont élevés jadis et écroulés tant d’empires. Des prétentions rivales du panhellénisme, il n’a jamais eu cure, sachant bien qu’elles n’avaient qu’un support moral, l’influence religieuse du patriarche de Constantinople, en pleine décroissance depuis qu’il avait cessé d’être en Turquie la tête unique