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leur idiome, lorsqu’ils se sont fixés au Sud du Danube. Entre eux et les Russes il n’y a point d’affinités réelles. Sous le poids du joug le plus dur, le souvenir d’avoir été une race dominatrice des Balkans et qui faisait trembler les empereurs de Constantinople avait survécu obscurément au fond de leurs esprits ignorans. Une fois libérés, la reconnaissance, à défaut des liens du sang, ne les a point attachés à leurs libérateurs. Ils n’ont voulu ni des généraux, ni des pédagogues, ni surtout des tuteurs, envoyés de Russie. La scission entre l’empire des Tsars et sa protégée récalcitrante a été complète après le départ forcé d’Alexandre de Battenberg. Malgré la reprise des relations amicales, malgré de nouveaux services rendus, le gouvernement impérial n’a jamais regagné le terrain perdu par lui à Sofia le jour qu’il a contraint maladroitement ce prince à abdiquer. Ferdinand pouvait donc manœuvrer à l’aise sur un champ débarrassé des servitudes et des hypothèques créées par le Congrès de Berlin, car son vasselage envers le Sultan ne fut jamais que nominal.

A l’intérieur, cette population de paysans économes, travailleurs, sobres et robustes, avait été, dès le lendemain de son affranchissement, la proie d’une bande de politiciens, fruits secs des écoles et des universités étrangères. Ils y avaient puisé pêle-mêle des notions scientifiques et des idées fort avancées. Conspirateurs par vocation, nihilistes par fréquentation, leur principal souci fut de s’emparer du pouvoir, ce qui rendit tout gouvernement régulier impossible. De ce ramassis d’ambitieux vulgaires, de ce chaos d’intrigues acharnées à se combattre, quelqu’un cependant avait surgi, au moment où le Battenberg était renversé par un complot militaire. Stamboulof, homme d’État incomplet, mais volonté violente, sachant s’imposer à force d’énergie brutale, avait accaparé la régence. Pendant la vacance du trône, il rétablit l’ordre avec une poigne de fer, étouffa les insurrections, terrorisa les résistances par des exécutions sommaires et des emprisonnemens arbitraires, et installa un régime de dictature qui sauva la situation, en accumulant contre son auteur des rancunes sans merci. Il put alors introduire en Bulgarie le prince étranger que le Sobranié avait docilement élu sur son ordre. Le rôle de Ferdinand se trouvait singulièrement simplifié et amoindri. Il était relégué dans l’ombre du tout-puissant dictateur, qui se chargeait de gouverner et d’agir.