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L’humiliation de cette attitude, le prince de Cobourg l’a subie pendant sept ans, sept années de dissimulation, qu’il a employées à consolider sa situation personnelle, à étudier les hommes et le terrain, à gagner des partisans, et il a attendu ainsi l’heure de la chute inévitable de son maire du palais. Il ne s’est senti assez fort pour lui tenir tête qu’après la naissance d’un héritier de sa couronne, qui avait resserré les liens, encore très lâches, existant entre son peuple et lui. Dans le court conflit qui mit fin à la tyrannie du dictateur, le prince eut l’appui de l’armée. La rue resta tranquille et Ferdinand commença à régner.

Privé du pouvoir, Stamboulof était un homme perdu. Il avait prédit lui-même qu’il serait assassiné, car il avait conscience de l’atmosphère de haine et de vengeance qui l’entourait. L’Europe ne fut pas très surprise, en apprenant, un an après sa chute, qu’il avait été tué à coups de yatagan dans une rue de Sofia. Sa veuve et les ennemis du prince ont jeté à ce dernier l’accusation de complicité. Un crime politique le débarrassait d’un serviteur qui ne lui pardonnait pas son renvoi et serait devenu un adversaire dangereux à la tête de l’opposition. Mais cet homme avait trop d’ennemis, pour que ses menaces eussent le temps de mûrir et ses projets de s’exécuter. Ferdinand le savait : il partit pour Marienbad ; de loin il resta spectateur impassible d’un événement facile à conjecturer.

Stamboulof lui laissait une principauté tout organisée, ayant réalisé sous sa main vigoureuse des progrès rapides et incontestables. Ponts, routes, chemins de fer, il avait commencé à tout créer à la fois pour développer les ressources nationales, en même temps que des écoles, des lycées et des casernes, si bien que l’instruction populaire était plus répandue en Bulgarie que dans les royaumes voisins et l’armée toute préparée à défendre le pays. Les-blés bulgares s’exportaient, comme ceux de la Roumanie, en Occident ; les entrepositaires d’Anvers les vendaient déjà, sous le nom générique de blés du Danube, mêlés aux céréales supérieures de Moldavie et de Valachie, ce qui n’était pas sans déplaire aux Roumains. Durant la période 1909-1914, la Bulgarie a vendu chaque année à l’étranger environ 2 230 000 quintaux de blé et 2 millions de quintaux de maïs.

De son côté, le Prince avait appris à connaître et à manier les politiciens bulgares. Sans s’immiscer dans les querelles des partis, sans sortir de l’isolement orgueilleux où il se tenait