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Bosphore avant que les autres, dispersés en Asie, eussent eu le temps d’accourir. Maître de Constantinople, il aurait fallu une intervention européenne, difficile à mettre en mouvement, pour en déloger l’intrus. Il ne s’y serait pas maintenu contre la volonté des Puissances, mais de cette randonnée victorieuse il aurait sûrement conservé un grand prestige et des morceaux de territoire importans. Quant à l’indépendance vis-à-vis de la Porte, personne après cela ne se serait avisé de la lui contester.. Ferdinand n’osa pas se lancer dans une entreprise aussi aventureuse, capable seulement de tenter un militaire. Ce politique, qui n’avait pas encore vu le feu, n’a pas dans les veines du sang de soldat. Il préféra une autre voie moins glorieuse, mais plus sûre.

Il chercha à lier partie avec le cabinet de Vienne, dont il connaissait assurément les projets touchant la Bosnie et l’Herzégovine. Jusqu’à quel point les deux compères se sont-ils concertés, il est encore difficile aujourd’hui de le préciser, mais la coïncidence de leurs actes justifie le soupçon d’un accord intime. Le 23 septembre 1908, François-Joseph reçoit à la Hofburg de Budapest Ferdinand de Bulgarie, prince vassal du Sultan, avec les honneurs réservés aux souverains indépendans. Dans le même moment le gouvernement bulgare, tirant prétexte d’une grève, fait occuper et exploiter par des soldats du génie les tronçons de ligne de la Compagnie ottomane des chemins de fer orientaux passant sur son territoire. Au commencement d’octobre, François-Joseph informe personnellement les souverains et chefs d’Etat de son intention d’annexer à la monarchie austro-hongroise les deux provinces dont il n’était que l’administrateur. Le 6 octobre, Ferdinand proclame l’indépendance de la Bulgarie et prend le titre de Tsar. Comment n’être pas frappé de la concordance suspecte de ces événemens ?

La question de l’indépendance était posée vis-à-vis de la Turquie. Elle n’était pas résolue, par ce geste unilatéral, selon le vœu de la Bulgarie, pas plus du reste que celle de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine au profit de l’Autriche-Hongrie. Après des discussions, où excelle la diplomatie ottomane, et qui faillirent parfois s’envenimer, il fallut financer et racheter au propriétaire ses droits de propriété. Il en coûta 82 millions aux Bulgares, tant pour la capitalisation du tribut rouméliste payé à la Turquie que pour l’achat des tronçons des chemins