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fait tressaillir de joie. La cour de Vienne lui dérobait sa vengeance ; mais de la façon dont elle l’exécuterait il n’aurait pas à se plaindre, et il comptait bien participer à la curée. Contre son attente, l’armée serbe, par un effort désespéré, rejeta au bout de quelques mois les envahisseurs hors des frontières de la patrie. Les Empereurs d’Autriche et d’Allemagne appelèrent alors avec instance le Tsar des Bulgares à la rescousse.

Il avait observé, durant les premiers mois de la guerre, quels que fussent ses sentimens et ses desseins secrets, une neutralité assez correcte, commandée par la prudence. Prendre parti trop tôt pour les Empires centraux, c’était compromettre irrémédiablement la solidité de son trône, en cas de victoire de l’Entente, et s’exposer aux coups inexorables de la Russie. Mais, en suivant anxieusement la marche des événemens, il n’a contemplé, comme son ancien ennemi, Constantin de Grèce, qu’un côté du champ de bataille, celui qui était le plus voisin de ses regards, le front oriental. L’autre lui a échappé, quoique beaucoup plus important. Le jour où les Russes, sous la pression allemande, ont été contraints d’évacuer la Pologne, il a jugé la partie définitivement perdue pour eux et pour leurs alliés et s’est décidé à lever le masque : un masque de fausseté et de dissimulation, dont ce comédien consommé s’était couvert vis-à-vis des gouvernemens de l’Entente. Aux ministres des Alliés il laissait tout croire et tout espérer, pendant qu’il permettait les mêmes espoirs à ceux des Empires centraux. Il a eu ainsi le temps de peser les avantages qu’on lui offrait des deux côtés. Mais l’Entente, obligée de défendre les intérêts de la Serbie, sa courageuse alliée, de la Roumanie, son alliée imminente, et de la Grèce, sa protégée et sa cliente habituelle, n’avait pas, comme l’Allemagne et l’Autriche, les mains pleines de concessions qui ne leur coûtaient rien.

Alors qu’il traitait sous main avec les Austro-Allemands et que sa résolution était déjà prise, ses intentions sont demeurées impénétrables à ses amis de France. Jusqu’au dernier moment, il s’est étudié à endormir leurs inquiétudes par de vagues assurances, à aveugler leur clairvoyance par des déclarations sentimentales. Qu’il eût éprouvé quelque regret et quelque honte à tirer l’épée contre le pays de ses ancêtres, de ceux du moins dont il se targuait le plus volontiers, parce qu’ils étaient les plus illustres