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sort commun à tous les ministres de servir de boucs émissaires à leurs concitoyens.


V

Pendant ce fatal mois de juillet 1913, Ferdinand avait imploré en vain l’entrée en scène de la Russie. Cette puissance, dont il avait dédaigné les offres d’arbitrage, quand il croyait tenir dans ses mains la victoire, s’était contentée, ainsi que la France, de conseiller la modération à la Grèce et à la Serbie. Autant prêcher la douceur à des esprits exaspérés. Une politique, plus difficile à pratiquer au point où en étaient les choses, mais plus prudente sans contredit, — nous nous en apercevons aujourd’hui, — n’eût-elle pas commandé de s’interposer entre les belligérans pour empêcher les vainqueurs de se faire un ennemi irréconciliable du vaincu ? Sinon, mieux eût valu dépecer la Bulgarie, écraser ce nid de guêpes batailleuses, rayer ce royaume de la carte de l’Europe, comme M. Zimmermann annonçait froidement l’année suivante qu’on ferait de la Serbie, si elle repoussait l’ultimatum austro-hongrois. Mais une pareille exécution n’eût été ni humaine ni réalisable. Le cabinet de Vienne, qui avait voulu soumettre à révision le traité de Bucarest, ne pouvait pas laisser démolir le trône de son protégé.

L’hiver et le printemps suivans, la Bulgarie et son Tsar vécurent dans un recueillement farouche, en grommelant des reproches dont on ne parut pas s’inquiéter à Saint-Pétersbourg. Malheur aux vaincus qui ont mérité leur sort ! Tel n’était pas l’avis des cabinets de Berlin et de Vienne. Leur diplomatie consolante n’est pas restée inactive à Sofia, tandis que les deux gouvernemens se préparaient sournoisement à une guerre prochaine. La rancune du Tsar désabusé ne visait pas uniquement, comme on l’a vu plus tard, la Serbie, la Roumanie et la Grèce. Elle enveloppait aussi dans sa fureur la Russie, qui l’avait livré, pensait-il, à ses ennemis. Ferdinand en a voulu mortellement aux ministres russes de leur partialité pour les Serbes, enfans gâtés du slavisme, et il a juré de se venger à la fois du triomphe des uns et de l’abandon des autres. Avec l’Autriche son entente fut complète, parce qu’elle se fortifiait d’une haine commune.

L’ultimatum austro-hongrois au cabinet de Belgrade l’aura