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L’Ancre passée, on remonte vers Thiepval par un chemin creux. Tout en haut, dans le parc bouleversé, se voient les ruines du château, c’est-à-dire un tertre informe sous lequel s’ouvre la voûte béante d’une cave. Un chat noir est le seul hôte de ces solitudes. Partout les trous d’obus font de petits étangs remplis d’une eau couleur de turquoise. En juillet dernier, ce plateau tragique était un océan de coquelicots et de marguerites. Celles-ci formaient des touffes larges comme des corbeilles, pressant leurs tiges hautes et fleuries de mille étoiles. Revanche éclatante de la vie ! Derrière Thiepval, le terrain ondule. On parcourt des landes, et l’on arrive dans un fond désert et sinistre, qui était l’objectif de la 32e division après Thiepval : la ferme du Mouquet.

Nous venons de prendre une vue du champ de bataille face à l’Est, à la hauteur de Thiepval. Appuyons maintenant d’une lieue vers le Sud, de façon à nous trouver dans le secteur du IIIe corps, devant la Boisselle, et regardons cette fois au Nord-Est. Le paysage que nous avons vu tout à l’heure par la tranche, selon une coupe tracée par l’Ancre, nous le voyons maintenant en élévation, et pour ainsi dire par sa façade ; les collines nous apparaissent comme la vague quand on a mis le cap sur elle, et leurs versans s’élèvent lentement devant nous.

Nous nous apercevons alors que tout le pays entre l’Ancre et la Somme n’est qu’un immense bourrelet, étendu comme un verrou entre ces deux rivières.

Ce renflement, cet anticlinal, est un point très important du sol français. Ce bourrelet, qui ne dépasse pas 170 mètres, est le faite de partage entre les eaux qui vont par la Somme à la Manche, et celles qui vont par l’Escaut à la mer du Nord. Comme tant d’autres, cette bataille s’est livrée dans une région qui était importante géographiquement avant de le devenir militairement.

C’était donc ce renflement, ce faîte de partage qu’il fallait gravir et conquérir.

Les soldats du 1er juillet n’en apercevaient que les premières pentes. Mais pour nous, anticipant sur les événemens, parcourons-le dans sa profondeur. Nous avons un axe de marche admirable, la grand’route d’Albert à Bapaume, si familière à ceux qui ont parcouru le champ de bataille de la Somme.

Cette route qui entre dans les lignes devant la Boisselle reste