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gravée dans le souvenir de tous ceux qui ont vu le champ de bataille. De l’ouest de l’Ancre, on la voit juste à l’horizon, profiler ses arbres sur le ciel, en s’élevant de la Boisselle vers Pozières ; une interruption de ces arbres marque l’endroit où fut Pozières ; un peu plus loin, une seconde interruption marque l’endroit où fut le moulin à vent, situé juste au sommet du plateau. De là, la route redescend vers Bapaume : des débris de ferraille rouillée subsistent de la sucrerie de Courcelette ; plus loin le village de Sars se reconnaît à ses charpentes hérissées ; enfin, la butte de Warlencourt, sur la droite, fait une sorte de bouton blanchâtre sur le paysage. Enfin on arrive par une allée d’arbres à Bapaume.

Cette seconde partie de la route du moulin de Pozières à Bapaume était, au début, de l’action, hors des vues des Allies. Mais un jour du mois d’août, Georges Wegener, correspondant de la Gazette de Cologne, se trouvait sur un des observatoires établis dans la cime des grands arbres, sur la colline de Grevillers, à l’ouest de Bapaume. Et de là il voyait cette route d’Albert monter vers le Sud-Ouest. « Encadrée des hauts peupliers habituels, elle s’éloigne, tirée au cordeau, à la façon des routes nationales en France qui, partout où c’est possible, sont tracées en ligne complètement droite sur de grandes étendues, sans égard à la configuration du sol et aux lieux voisins, et qui s’allongent au loin devant le voyageur en perspective infinie. » Le long de cette route, qui s’élevait devant lui par des ondulations successives, il apercevait Martinpuich, qui au mois d’août n’était pas encore complètement détruit ; plus à droite Courcelette, un tas de ruines sans forme. Au delà de Martinpuich, la route, qui jusque-là était très reconnaissable, devenait de plus en plus indistincte en montant vers Pozières. Les peupliers qui la bordent n’apparaissaient plus que par places, sans ordre, ployés, éclatés, abattus, réduits à l’état de souches. Enfin ces souches mêmes disparaissaient, et la route devenait invisible, avant d’atteindre la crête ; elle se confondait avec le ton gris-brun de la terre, et s’évanouissait comme un sentier foulé disparait d’un champ quand le soc y a passé. « Et le sol était en réalité là beaucoup plus profondément retourné que la puissante charrue à vapeur n’aurait pu le faire. » Enfin à l’horizon, sur la crête, l’observateur allemand apercevait l’emplacement de Pozières rasé, entièrement chauve et nu, comme nous l’apercevions