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a résolu d'exalter ses hommes par cette cérémonie où il associera aux vivans le grand mort.

Il est dix heures du matin. Le vent de mer souffle âprement. La digue qui protège l'ancien terrain d'atterrissage ne rompt pas sa violence. Sur le front du bataillon en masse, commandé pour rendre les honneurs, se détachent, agités comme les flots, les vingt drapeaux des régimens qui ont pris part aux batailles, aux victoires, drapeaux décolorés, effrangés, meurtris, dont quelques-uns ne sont plus que des loques. À gauche, devant les aviateurs rassemblés, deux grêles silhouettes, l'une en vareuse noire, l'autre en bleu horizon : le capitaine Heurtaux, appuyé encore sur ses béquilles, et le sous-lieutenant Fonck. Ils vont recevoir, l'un la rosette d'officier de la Légion d'honneur, l'autre la croix de chevalier. L'un, — ce mince Heurtaux si blond, si délicat, l'air d'une fille, mais d'une si belle maîtrise de soi et d'un calme si stupéfiant dans le risque, — fut l'Olivier de notre Roland, son compagnon de toujours, de la Somme, de l'Aisne, du Nord, son confident, son émule. L'autre, que pour sa jeunesse, sa petite taille, sa simplicité, sa sûreté dans le combat, j'ai appelé Aymerillot, espoir de demain et déjà chargé de lauriers, a peut-être vengé Guynemer sans retard. Un lieutenant Wissemann, selon un renseignement donné par la Gazette de Cologne, se serait vanté dans une lettre à ses parens d'avoir abattu le plus célèbre aviateur français, ajoutant : « Ne vous inquiétez pas, car jamais je ne pourrai rencontrer un ennemi aussi dangereux. » Quelques jours plus tard, le 30 septembre, ce Wissemann disparaissait, monté sur un Rumpler nouveau modèle : Fonck l'avait tué, sur nos lignes, d'une balle à la tête[1].

Tandis que la musique joue la Marseillaise, accompagnée par tout le tumulte de la mer, du vent, des moteurs d'avions qui décrivent des cercles au-dessus de la revue, le général Anthoine s'avance seul, face aux drapeaux. Sa silhouette immense, large, puissante, semble porter l'ancienne armure. Elle se découpe au-dessus de la digue assez éloignée, sur le ciel nuageux. Il domine, il écrase de son imposante stature les deux petits aviateurs vers lesquels il s'est dirigé. Quand les cuivres se sont tus, il parle, et c'est l'éloge funèbre de Guynemer

  1. V. Jacques Mortane, La guerre aérienne.