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Pourtant, il a, — mais avec d’autres vertus, — un peu de l’innocence qu’il voudrait avoir. Il est, en quelque sorte, à l’égard du christianisme, comme s’il ne s’en était pas aperçu. Et, si l’on en doute, qu’on relise, au quatrième tome de la Vie littéraire, le chapitre de Pascal : « Il ne fut jamais au monde un plus puissant génie que celui de Pascal ; il n’en fut jamais de plus misérable… Il faut prendre garde d’abord que cet homme prodigieux était un malade et un halluciné… Et, si l’on songe que ce malade était le fils d’un homme qui croyait aux sorciers et en qui le sentiment religieux était très exalté, on ne sera pas surpris du caractère profond et sombre de sa foi. Elle était lugubre ; elle lui inspirait l’horreur de la nature et en fit l’ennemi de lui-même et du genre humain… L’excès de sa pureté le conduisait à des idées horribles… Certes, Pascal était sincère. Il pensait comme il parlait. Il observait les leçons qu’il donnait ; mais ces leçons ne sont-elles pas littéralement celles que recevait Orgon du dévot retiré dans sa maison ?… » Etc. Voilà Pascal ? Oui : tel à peu près que l’imagine ou l’apprécie, avec une loyauté parfaite, un épicurien d’Athènes ou de Rome, soudain ressuscité en notre temps et qui, dès son arrivée, n’est pas au fait d’une angoisse, d’une logique et d’une consolation nouvelles.

Seulement, ce philosophe païen de l’antiquité, le christianisme et les divers systèmes de pensée que la métaphysique en a tirés depuis un millier d’années sont, en somme, tout ce qu’il méconnaît du travail que les siècles ont accompli depuis Epicure et Lucrèce et jusqu’à nos jours. Il est moderne et l’est extrêmement. À bien considérer la suite de l’histoire humaine, il croit découvrir qu’à travers les âges, la vie humaine tend à quelque adoucissement et, autant dire, à quelque amélioration. Il croit, — ou, avant ces quatre dernières années, croyait, — que l’humanité, d’âge en âge, s’éloigne de la barbarie. Je ne dis pas qu’il ait un grand espoir que les pauvres mortels passent jamais leur peu de jours dans une béatitude sans tache . Il est pessimiste, comme le sont, parmi les hommes du progrès, les plus fins et qui ont soin de se ménager des aubaines plutôt que des déceptions. Mais il est un homme de progrès : sa qualité de philosophe antique ne le rend pas réactionnaire. Il a même l’usage habituel de ne pas juger une idée, entre celles de son époque, sans consulter l’avenir : « Pas plus que vous, je ne suis sûr de la bonté de tel système et, comme vous, je vois qu’il est en opposition avec les mœurs de mon temps ; mais qui me garantit la bonté de ces mœurs ? Qui me dit que le système, en désaccord avec notre morale, ne