Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/940

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

balistique a été la curiosité, et nullement la terreur, comme l’espéraient les Allemands. Il y aurait beaucoup à dire sur ce côté psychologique du problème, mais cela n’entre point dans mon sujet, qui est aujourd’hui purement technique. Pourtant certaines réflexions que suggère le calcul des probabilités et sur lesquelles on n’a, à mon avis, pas assez attiré l’attention, s’imposent ici. Elles seront de nature à raffermir le calme, d’ailleurs en général très grand, de la population parisienne, et par conséquent à annihiler les effets de l’effort ennemi qui a évidemment pour but, en bombardant la capitale, de l’énerver, d’amollir, d’ébranler Paris, cœur et centre nerveux du pays, et de saper indirectement la force de résistance française. Les remarques suivantes s’appliquent à la fois aux bombardemens par gothas et à ceux du canon monstre :

Lorsqu’on parle de dix tués, de vingt tués, cela paraît, au premier abord, fort impressionnant. En réalité, si navrante et si digne de respect que soit une seule mort innocente causée par la barbarie ennemie, c’est fort peu de chose, si l’on raisonne non plus avec ses nerfs, mais avec les chiffres impavides, pt si l’on considère en ces matières ce que les algébristes appellent les rapports et les proportions. Vingt tués sur une population de trois millions d’habitans, cela représente à peine une proportion d’un cent-cinquante millième. Or, il est certain que ce chiffre est et restera très inférieur à la moyenne journalière des victimes des bombardemens ennemis. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que chaque fois que Paris est bombardé, il y a beaucoup moins lieu pour chaque Parisien de s’affoler que s’il habitait une ville de 150 000 habitans (donc beaucoup plus importante que Rouen ou Nancy), où chaque bombardement ne tuerait jamais qu’une personne au maximum.

Il ne faut pas oublier que la mortalité diurne moyenne à Paris est d’environ cent cinquante personnes. Tout ce que pourront faire les bombardemens c’est au maximum qu’il y meure sept personnes là où il en mourait normalement six. L’ordre de grandeur de la mortalité n’en est même pas changé.

Autrement dit, les victimes des bombardemens par gothas ou canon à longue portée sont beaucoup moins nombreuses chaque jour que les victimes d’accidens de la rue. Elles sont également beaucoup moins nombreuses que celles des précautions prises, et je n’entends point parler ici des victimes de paniques comme celle qui a eu lieu dans une station du métro, mais seulement des gens que les bronchites, les pneumonies, les refroidissemens