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mortels guettent dans leurs caves, ou dans la hâte de leurs déplacemens nocturnes en costumes trop légers. A cet égard, les statistiques municipales seraient fort édifiantes.

En exposant ici ces choses, a priori paradoxales, et presque choquantes j’en conviens, je ne veux nullement m’élever contre des précautions légitimes que la préfecture de police a recommandées et que chacun est libre de suivre. Je veux seulement montrer que, en tout état de cause, le danger couru par chacun est entièrement faible et ne justifie en aucun cas un énervement quelconque.

Ayant ainsi établi que ce serait tomber lourdement dans le piège ennemi que de s’exagérer, — si déplorables que soient les morts causées par eux, — le danger des bombardemens de Paris tant du haut des airs que par le fameux canon, il me reste à examiner ce qu’est celui-ci, comment il a pu être réalisé, et pourquoi aussi il a paru d’abord si étonnant.

Tout ce qu’on a dit pour expliquer l’arrivée des fameux obus est inimaginable ; dans les cafés, dans les salles à manger et les salles de rédaction, dans les bureaux administratifs, un instant réveillés de leur douce somnolence, dans les caves, ces derniers salons où l’on cause, il n’a guère été question, depuis lors, que de cela, et l’offensive allemande dont dépend aujourd’hui le sort du monde en fut presque éclipsée. Je ne veux point croire que beaucoup de Parisiens furent en cela pareils à ces enfans qu’un jouet distrait du drame le plus terrible. J’aime mieux penser qu’en paraissant oublier la bataille pour « leur » canon, ils obéissaient instinctivement à cette pudeur qui commande aux langues le respect de l’attente silencieuse, tandis que les bras sculptent là-bas l’action immortelle.

A côté de ce qu’on a dit du « canon, » du « Kanon, » ce qu’on en a écrit depuis quinze jours n’est guère ; et pourtant le soin de le lire, de le réunir, de le relever découragerait même un bibliographe allemand. Nous avons vu les plus graves gazettes imprimer là-dessus doctement les hypothèses les plus échevelées ; jamais la fantaisie aux mille couleurs ne gambada avec un comique si sérieusement dissimulé parmi ces plates-bandes de papier imprimé qu’on offre chaque matin et chaque soir à la soif spirituelle du plus spirituel des publics.

Entre toutes ces hypothèses fantastiques, je ne veux retenir que quelques-unes, les plus sérieuses, pour les éliminer d’abord. — II. s’agissait, ont dit certains, de projectiles jetés en plein jour par des avions ennemis habilement camouflés ; mais, supposé que les avions