Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/946

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que tirer à 38 kilomètres de distance sur un objectif militaire : cuirassé, fort, chemin de fer, camp, dépôt de munitions ou d’hommes est une impossibilité pratique à cause de la dispersion des coups à une telle distance et de l’impossibilité de « serrer la fourchette » et d’atteindre des objectifs de dimensions aussi restreintes.

Si les Allemands se sont décidés à faire des tirs de ce genre, c’est précisément parce qu’ils se souciaient peu que l’objectif fût militaire ou non. Dans ces conditions, cherchant à loucher Dunkerque n’importe où, et non pas dans ses œuvres vives militaires, il n’était nullement surprenant qu’à 38 kilomètres de distance ils fussent assurés, en tapant dans le tas, de toucher en quelque point une cité de plusieurs kilomètres de largeur.

En un mot, c’est la noblesse de la conception naïvement chevaleresque que la France se faisait de la guerre qui est cause que les artilleurs ne s’étaient pas préoccupés du tir courbe à très grande portée. Ainsi s’explique, — et je dis ceci sans nulle ironie, — que nos cours militaires classiques de balistique d’avant la guerre, après avoir étudié le tir de plein fouet à grande vitesse et le tir courbe à faible vitesse, et amené à un très haut degré de perfection la solution de ces problèmes, pouvaient ajouter (je cite textuellement) : « Il n’en est pas de même, à l’heure actuelle, du cas intermédiaire du tir courbe à grande vitesse, heureusement beaucoup moins intéressant en pratique [1]. »

C’est évidemment dans cette direction inexplorée ou du moins peu explorée que les Allemands ont travaillé pour réaliser le tir sur Dunkerque d’abord, puis le tir sur Paris. Mais le tir sur Dunkerque portait à 38 kilomètres ; le tir sur Paris porte à 120 kilomètres, plus du triple. Or le tir de Dunkerque avait été obtenu avec le plus puissant canon tirant sous l’angle de portée maxima. Pour réaliser le tir sur Paris il fallait avoir recours à des moyens nouveaux. Quels furent ces moyens ? Le jour même où les premiers obus de 210 tombèrent sur Paris j’ai hasardé l’hypothèse, que les Allemands avaient dû simplement avoir recours à des vitesses initiales notablement plus grandes que celles des 380 dans le dessein d’obtenir une trajectoire qui monte très haut dans ^atmosphère et dont presque toute la longueur traverse des couches raréfiées où la résistance de l’air est à peu près nulle. Cette hypothè.se que j’avais risquée, avec quelque méfiance, je l’avoue, paraît effectivement confirmée aujourd’hui, et

  1. C’est moi qui souligne (C. N).