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gence, décuplaient l’effiracité de sa mitrailleuse et faisaient son e’crasante supériorité[1]. »

Mais, quand tu auras appris en détail les qualités techniques, la supériorité technique de ton Guynemer, de notre Guynemer, il te restera toujours quelque chose à connaître, oh ! peu de chose, le principal, l’essentiel. Guynemer n’avait pas un corps robuste ; il était de santé chétive et il fut ajourné plusieurs fois ; cependant nul aviateur n’était plus résistant à la fatigue, même quand les progrès de la guerre aérienne exigèrent des stations prolongées à des altitudes de six ou sept mille mètres. Il y eut des pilotes plus manœuvriers, des tireurs peut-être aussi adroits que Guynemer : cependant il n’eut pas d’égal dans la violence foudroyante de l’attaque et dans la continuité opiniâtre et prolongée de la lutte. C’est donc qu’il y avait chez Guynemer un don particulier. Ce don, qui fut son génie, il faut le chercher dans sa puissance et sa promptitude de décision, c’est-à-dire, en dernière analyse, dans sa volonté. Il ne cessa pas de vouloir, de vouloir jusqu’à la fin, de vouloir au delà de ses forces et de lui-même. Retenons deux dates dans sa vie : celle du 21 novembre 1914, date de son départ de la maison paternelle, celle du 11 septembre 1917, date de son dernier départ du camp d’aviation. Ni le goût de Carnation, ni celui de la gloire n’ont été pour rien dans ces deux départs. La volonté réduite à elle-même est une force magnifique et dangereuse. Il nous appartient d’en diriger l’emploi. Guynemer imposa un but unique à la sienne : servir, servir son pays jusqu’à la mort, quelle qu’elle fût.

Enfin, n’isole pas Guynemer de ses camarades. En l’isolant, tu offenserais sa mémoire. Sa violence native, par delà la terre où il n’a pas de tombe, ou par delà le ciel, s’en irriterait. Sans doute apprendras-tu par cœur les noms de tous nos as. Je ne sais ce que deviendra la liste que je te transmets aujourd’hui et qui fut dressée à la date où Vas des as disparut (11 septembre 1917) :

Sous-lieutenant Nungesser, 30 appareils abattus ; capitaine Heurtaux, 21 ; lieutenant Deullin, 17 ; lieutenant Pinsard, 16 ; sous-lieutenant Chaput, 12 ; adjudant Jailler, 12 ; sous-lieutenant Madon, 16 ; sous-lieutenant Ortoli, 11 ; sous-lieutenant

  1. Guerre aérienne, du 18 octobre 1917.