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nous permette de la demander : à cette masse de faits que nous venons de parcourir, à ces rapports constans, à cette longue amitié de deux peuples à travers l’histoire, qu’est-ce que l’Allemagne peut opposer ? Elle ergote sur un texte qui autorise la conjecture que Claus Sluter serait le fils d’un maçon allemand, assassiné à Bourges à la fin du XIVe siècle : et sur cette première hypothèse elle en édifie d’autres qui invitent à chercher en Allemagne les origines de l’art bourguignon. Elle montre des ressemblances entre l’art des Limbourg ou d’Haincelin de Haguenau, et l’école de Cologne, celle des maîtres Wilhelm et des Stepan Lochner, — sans songer que ceux-ci ne sont eux-mêmes que d’humbles reflets de la peinture française.

Notez que, dans cette longue étude, c’est à peine si nous avons eu besoin de distinguer la Flandre de la Wallonie : l’une et l’autre sont également attirées vers la France ; elles lui donnent ou en reçoivent tour à tour également. Peut-être même, si l’on faisait la balance de ce qui nous est venu, en art, des deux parties de la Belgique, le plateau de Bruges et d’Anvers l’emporterait-il légèrement sur celui de Liège et de Namur.

Cette idée allemande, qui est depuis quelque temps son grand cheval de guerre ou sa plus perfide machine politique, la séparation des deux provinces belges, sur quoi repose-t-elle ? Sur un seul fait : le fait linguistique. Là-dessus, l’Allemagne se hâte de construire un système politique et administratif, soi-disant « réaliste » et scientifique. Quelle erreur ! De la masse des réalités en extraire, en choisir une seule, et pour l’interpréter de la manière la plus abusive, est-ce là œuvre de savans ? Etrange méthode, de prendre un fait pour le vider de son contenu ! Le flamand est une langue germanique, soit ! Mais la littérature, la pensée flamandes, que doivent-elles à l’Allemagne ? La plus vieille version étrangère de la Chanson de Roland est une version néerlandaise. La langue, qui devait faire obstacle au rapprochement de la Flandre et de la France, ne sert qu’à les unir ! Ainsi la mer rapproche plutôt qu’elle ne sépare. On la prend pour un abîme, et elle est un pont, un lien.

Mais l’art est pour qui sait l’entendre un langage plus clair encore que les mots : c’est la langue des sentimens, celle des affections profondes, celle dont le poète a dit

Que le monde l’entend et ne la parle pas.