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Ceux-là s’en servent seuls qui ont à exprimer quelque manière émue d’envisager la vie, quelque amour spécial qu’ils ont pour la beauté. On fait dire ce qu’on veut aux mots : il est plus difficile de faire mentir une œuvre d’art. Dans les œuvres innombrables qui sont quasi communes à nos deux peuples, que voyons-nous, si ce n’est un long témoignage d’amour ?

Il est bon d’y revenir encore en finissant. L’Allemagne, sous prétexte de science, a inventé cette conception grossière de l’histoire, où tout serait dominé par des faits matériels et des réalités physiques, la langue, la race, le milieu. L’histoire est remplacée par l’anthropologie ; elle devient un chapitre de l’histoire naturelle ou, comme s’en indignait Renan, de la zoologie. Les luttes des peuples dans ce système n’offrent pas d’autre caractère que celles des « espèces » comme le gorille ou le chimpanzé. Vue horrible et barbare ! Que deviendrait un monde où régnerait sans partage une telle philosophie ? Puisque les armes spirituelles sont aussi des moyens de combat, ne cessons de lui opposer les nôtres. Que tous les faits humains, que les lettres, que l’art nous aident à leur tour ! Non, l’histoire n’est pas, comme le prétend l’Allemagne, celle de nos fatalités. Quelles que soient les forces qui nous lient, nous oppriment, d’autres nous soulèvent, nous délivrent ; et l’art, comme la patrie, est une création de l’amour et de la liberté.


LOUIS GILLET.