Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi lorsque, pendant la guerre de 1870, Thiers entreprend à travers l’Europe la tournée patriotique au souvenir de laquelle son nom reste attaché et sollicite l’intervention des puissances ; l’accueil qui lui est fait à Saint-Pétersbourg se ressent d’un mauvais vouloir que dissimulent à peine les paroles de compassion qu’on lui prodigue. Déjà, en 1866, au lendemain de l’écrasement de l’Autriche, le Tsar déclarait que, dans la reconstitution de l’Allemagne, il était juste que la Prusse victorieuse fût avantagée et qu’au reste il préférait une Prusse puissante à une Autriche puissante. En 1870, il ne pense pas autrement, mais son opinion a puisé une force nouvelle dans ce que Gortschakoff appelle « les mauvais procédés du gouvernement français. » sous le règne de Napoléon III[1]. On aurait pu s’y tromper avant la guerre lorsque Alexandre traitait avec une bienveillance exceptionnelle le dernier ambassadeur impérial, le général Fleury. Mais, si sincère que fût cette bienveillance, elle n’empêchait pas qu’il fût résolu à favoriser la politique prussienne autant qu’il était en son pouvoir. Les télégrammes échangés entre lui et son oncle Guillaume après la signature du traité de Francfort, remerciemens de l’un et félicitations de l’autre, nous fournissent la preuve évidente qu’à ce moment l’empereur de Russie était résolument inféodé à l’Allemagne.


II

Pendant la guerre, l’ambassade de France à Saint-Pétersbourg avait été dirigée par un chargé d’affaires, le marquis de Gabriac. La guerre terminée, il fallait mettre fin à cet état provisoire et y substituer un état définitif par la nomination d’un ambassadeur. Le président Thiers désigna pour représenter la France en Russie le duc de Noailles, son confrère à l’Académie française. Ce haut personnage fut aussitôt agréé par le gouvernement impérial. Celui-ci, de son côté, désigna pour l’ambassade de Paris le prince Orloff qui, déjà, avait occupé ce poste. Mais au dernier moment, le duc de Noailles, alléguant son état de santé et la rigueur des climats du Nord, se récusa. Le général Le Flô fut nommé à sa place avec l’assentiment empressé du Tsar.

  1. Propos tenus en 1874 au comte de Chaudordy qui était allé le voir à Berne, chargé d’une mission par le duc de Broglie sur le conseil du duc Decazes.