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donna « plusieurs belles persuasions à montrer que la Terre est mue de mouvement général et le ciel non. » Suivant la thèse de Duhem, si Galilée fut condamné plus tard, c’est qu’il manqua de critique scientifique en affirmant le caractère réel et absolu d’une théorie, à laquelle l’Église n’avait fait aucune objection tant qu’elle était seulement présentée comme le moyen le plus simple de figurer les mouvemens des astres.

Pendant cette grande bataille entre les expérimentateurs qui défendaient les épicyles de Ptolémée et les « physiciens » obtinément fidèles à la doctrine péripatéticienne d’Aristote, d’Averroes et d’Al Bitrogi, saint Thomas d’Aquin énonçait cette opinion, à laquelle nous pouvons souscrire encore : « Il faut écouter les opinions des anciens, quels qu’ils soient. Cela est doublement utile. Nous accepterons pour notre profit ce qu’ils ont dit de bien et nous nous garderons de ce qu’ils ont mal exposé… Le but de la Philosophie n’est pas de savoir ce que les hommes ont pensé, mais bien quelle est la vérité des choses. » Albert le Grand a dit aussi : « Averroes n’a nullement acquis une connaissance exacte de la nature des corps célestes ; aussi a-t-il formulé, au sujet des cieux, beaucoup de propositions abusives et absurdes ; la simple vue suffit à nous convaincre de la fausseté de ces propositions. » Enfin, Jean des Linières a écrit cette phrase qu’on ne s’étonnerait pas de trouver chez Duhem ou dans le livre de Poincaré sur la Science et l’Hypothèse : « Ce n’est pas un raisonnement concluant que celui-ci : Telle variation a été trouvée en la déclinaison maxima du soleil ; donc elle provient de tel mouvement ; car une semblable variation peut également provenir de tel autre mouvement que l’on imaginerait. »

Cela nous paraît tout simple aujourd’hui de se révolter ainsi contre l’opinion d’Aristote ou d’Averroes. Mais mettez seulement, à la place de ces noms, ceux d’Auguste Comte ou de Maxwell… Cependant des textes de ce genre ne sont pas rares ; et, d’une façon générale, quand on pénètre dans cette science scolastique, on est frappé, nous le remarquions en commençant, d’y trouver souvent, à côté de la foi aveugle et trop générale en Aristote, à laquelle on s’attendait, un souci de l’expérimentation et un sens critique beaucoup plus développés chez quelques-uns qu’on ne l’aurait supposé. Ce qui a perdu souvent ces philosophes, c’est précisément qu’ils raisonnaient