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Un tel rapprochement du Vinci avec la science du Moyen Âge pour aboutir à une conquête moderne ne constitue pas un fait isolé. Dans nombre de cas où la Renaissance marquait un recul sur la science parisienne du xive siècle (pour la géologie par exemple que tendait à annihiler l’astrologie), le Vinci a trouvé, chez Nicolas de Cues, Albert de Helmstaedt et d’autres, un point d’appui qui lui permettait de remonter aux premiers observateurs de la Grèce. Et cet enseignement scolastique, ainsi repris par le Vinci et illuminé par son génie, Duhem nous l’a montré, ce qui n’est pas une de ses révélations les moins imprévues, prolongeant ensuite ses effets très loin vers notre temps. Les idées de Léonard de Vinci ne sont pas restées, comme il arrive souvent, à l’élat de semences oubliées dans un tombeau que l’on retrouve longtemps après quand des graines semblables ont germé ailleurs. Ses manuscrits ont été lus et pillés beaucoup plus qu’on ne le croyait, avant leur publication partielle par Venturi en 1797 et, par ce fil caché, ils se rattachent à des idées de Jérôme Cardan, plagiaire fameux, dont s’inspira Bernard Palissy pour ses premiers essais de paléontologie. De même, Léonard est le premier inventeur du principe hydrostatique attribué à Pascal, qui a été transmis à celui-ci par Giovanni Battista Benedetti et le père Mersenne.

Nous avons dû être bien court sur ces travaux historiques de Duhem ; ce que nous en avons dit aura suffi cependant pour faire un peu mieux connaître cette physionomie que rendaient à tous égards si attachante, non seulement la profondeur et l’universalité de la pensée, mais aussi une rare droiture intellectuelle et morale, une intransigeance absolue devant l’à peu près scientifique comme devant l’enrégimentement et l’arrivisme. Dans toute notre étude, nous avons été amené à insister moins sur les travaux proprement dits de Duhem que sur les lignes directrices de ses recherches.

Nous avons essayé de faire voir comment il avait établi des contacts nouveaux entre la physique et la chimie, entre la physique et la mécanique, entre la mécanique et la philosophie ou l’histoire. De tels rapprochemens ont été souvent fructueux dans l’histoire des sciences. La naissance de la chimie moderne remonte au jour où un fermier général a employé en chimie la