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la Posnanie, ou magyarisée la Transylvanie ; mais tout de suite l’Allemagne, pour cette thèse essoufflée, est à court d’arguments, à court de documents.

L’infiltration du français, dans les vieilles Flandres, ressembla si peu à une contrainte ou à une usurpation, que les deux cris émancipateurs où se résumèrent deux moments solennels de leur histoire furent deux cris français. « S’il avenoit, lisons-nous dans l’antique heure de Courtrai, que bourgeois ou bourgeoise criassent commuigne, tout li bourgeois qui le verroient ou orroiont le doivent aidier[1]. » Commuigne, commune ! Il y avait là un cri d’aide mutuelle, qui protégeait et vengeait les bourgeois et les bourgeoisies : c’était un cri de France. Plusieurs siècles passèrent : aux organisations locales d’union succédèrent un instant, contre Philippe II, des aspirations violentes vers une sorte d’union nationale. Trois mots français : « Vivent les gueux ! » en furent la devise : c’est en français que les Flandres, ce jour-là, prenaient conscience d’elles-mêmes, en français qu’elles libéraient leur âme.


VII

C’est notre originalité d’être deux et d’être unis, deux en un, disent à l’Allemagne, par toutes les pages de leur histoire, Flamands et Wallons. Il peut y avoir, entre eux, des « heurts sentimentaux[2], » et il y en a. « Tout le caractère flamand, — Balzac l’a dit, — est dans ces deux mots : patience et conscience[3] ; » et tout au contraire la sensibilité wallonne, telle que la font frémir devant nous les pénétrants romans historiques de M. Henry Carton de Wiart, se complaît plus volontiers aux élans d’initiative qu’aux persévérants efforts ; elle aime le premier jet, l’invention rapide, l’action courte et vive, et la rêverie ou le découragement la dissuadent parfois d’un effort continu.

Des mois et des mois s’écoulent, durant lesquels la vie du Flamand, pesamment laborieuse, se recueille et semble s’amasser en silences longs et lourds, et qui paraissent résignés, et puis elle éclate en explosions, mystiques ou charnelles, processions où l’on se mortifie, kermesses où l’on se satisfait, déploiements

  1. Funck-Brentano, Philippe le Bel en Flandre, p. 19-21. (Paris, Champion, 1895.)
  2. Davignon, Un Belge, p. 344. (Paris, Plon, 1913.)
  3. Balzac, op. cit. p. 3.