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de vie turbulente, luxuriante et bariolée, où tous les sens sont en éveil, où tous les instincts mènent la ronde. Le Wallon, plus continûment bavard, est un psychologue, un analyste : son intelligence subtile transforme volontiers en jeux d’esprit, galamment taquins, les choses de cœur ; il aime le trantran des manèges politiques, et les mouvements d’opinion, pourtant, ont peut-être en Wallonie moins de profondeur, parce qu’au lieu de laisser couver la flamme comme en Flandre, ils la gaspillent au jour le jour, en étincelles. Mais, en dépit de ces différences ou, pour mieux dire, à cause même de ces différences, ils ont, Flamands et Wallons, besoin les uns des autres ; et des affinités électives les avaient fiancés, avant que la Conférence de Londres ne fût le témoin de leur mariage.

Il y eut quelques scènes de ménage, dans le dernier quart de siècle : vous les trouverez décrites, si ces lointains souvenirs vous agréent, dans le livre de M. Henri Charriaut sur la Belgique[1]. Le gouvernement, avec sagesse, faisait tout pour ramener la paix : de 1873 à 1914, il consacrait par dix lois successives les grandes revendications flamandes au sujet de l’emploi officiel des langues[2]. Et Kurth, un grand ami de la Flandre, redisait avec instance à certains chevau-legers du « flamingantisme » que « le mouvement flamand n’avait pas besoin de l’extermination du français, et qu’il ne fallait pas sacrifier une parcelle de la culture française en pays flamand[3]. » Mais l’Allemagne chuchotait d’autres suggestions, qui dans certaines oreilles trouvaient un écho. Et d’autre part, l’idée de séparation administrative, que toujours les Flamands répudièrent, paraissait se glisser dans l’esprit de certains hommes politiques wallons qui, pour des raisons de politique intérieure, voulaient écarter l’ascendant des Flandres catholiques ; et l’on entendait certains « Wallingants » insister avec excès, dans les émouvants congrès des Amitiés françaises, sur leur culte spécial pour l’une des deux Frances, la jacobine, la révolutionnaire… Dans ce temps-là, on parlait de deux Frances.

Tout cela est bien loin, aujourd’hui ; et l’union, en Belgique, est devenue doublement sacrée, depuis que les attentats

  1. Charriaut, la Belgique moderne, une terre d’expériences. (Paris, Flammarion, 1910.)
  2. Voir la liste de ces lois dans Passelecq, op. cit. p. 183.
  3. Kurth, la Nationalité belge, p. 206.