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les bonzes donnent mille noms différents puisqu’ils n’en ont aucun. Le culte le plus simple leur a paru le meilleur depuis plus de quarante siècles. Ils sont ce que nous pensons qu’étaient Seth, Enoch et Noé : ils se contentent d’adorer un Dieu avec tous les sages de la terre, tandis qu’en Europe on se partage entre Thomas et Bonaventure, entre Calvin et Luther, entre Jansénius et Molina. » Voltaire se faisait des illusions sur la Chine et sur le genre humain ; et il est regrettable que Candide n’ait point abordé en Corée. Il y aurait vu que la religion des Lettrés y était aussi intolérante que celle des Inquisiteurs. Elle proscrivit les livres bouddhiques et jusqu’aux termes mêmes dont usaient les bouddhistes chinois. Elle déposa les monarques soupçonnés de sympathie pour l’ancien culte. Elle s’appuya sur la noblesse qui avait adopté ses enseignements ; et elle considéra le peuple comme un troupeau vil. Le résultat ? Vous en avez l’emblème dans le chapeau de deuil des Coréens. Depuis cinq cents ans la Corée a été coiffée de cette cloche pneumatique. On est stupéfait, en feuilletant la Bibliographie Coréenne, de l’énormité du fatras que le confucianisme a produit et qui ne pèse pas, au regard de l’esprit humain, ce que pèse une ombre. Si l’on mettait le feu à la montagne d’ouvrages que les intellectuels coréens ont écrits sur la piété filiale et sur la coiffure virile, sur la modestie et sur les rites de bon augure, sur la fidélité au souverain et sur la liturgie des funérailles ou des mariages, sur les sacrifices aux ancêtres et sur les formules épistolaires, on n’y perdrait pas plus qu’à brûler un vieux stock de lanternes chinoises.

Le principe confucéen est que le geste du corps doit régler la pensée ; et ses efforts n’aboutissent qu’à substituer aux pensées les gestes du corps. La vertu, c’est de s’acquitter exactement de toutes les prescriptions les plus minutieuses ; le crime, c’est d’en oublier une. Le moindre manquement à l’étiquette, une particule omise ou modifiée quand on s’adresse aux mandarins, vous déshonore ou vous rend passible des tribunaux. C’est un dur régime, mais qui a bien ses avantages, hélas ! Il vous facilite l’accomplissement de tous les devoirs puisqu’il les ramène tous à des altitudes. Il délivre l’âme de ses obligations les plus pénibles à force de les extérioriser. Il donne à l’homme, qui s’y soumet strictement, une certitude morale analogue au sentiment de la vérité absolue que donnent les mathématiques