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Il y a des bravades de la mort. A cinq cents mètres sur notre flanc, à gauche, une mitrailleuse entre en action contre nous. C’est l’instant que choisit un de mes hommes pour faire montre de son esprit ; une chanson de café-concert lui venant aux lèvres gagne le reste de la compagnie. Mais d’autres mitrailleuses se mettent de la partie ; le jeu devient mauvais. Noël, Buisson et Dudot sont tombés. Je perçois des cris, mais je m’éloigne en chargeant. « Gardez l’alignement, criais-je. — En avant ! répétait-on derrière moi. Nous sommes vainqueurs. »

Dans l’ordre, les hommes ont suivi. Les balles crépitaient ; par centaines, et tire-bouchonnant jusqu’à vingt centimètres du sol, des fumées légères s’élèvent autour de moi ; c’est leur effet sur ce terrain chauffé où repose la poussière. Elles frôlent mon pied qui en effleure d’autres ; je me cabre pour les éviter. Derrière, un homme chantait, le cri des blessés s’était tu.

L’élan nous entraînant, nous atteignons la crête des terres remuées, des faces où vivent des yeux, des flammes chaudes, sonores en coup de fouet nous frôlent les oreilles. Le chant s’arrête, les yeux se sont fixés. C’est le cri unique du cœur, le mot d’ordre tacite : « Il faut atteindre cela. Trente pas. Quinze encore. Cinq seulement. » Je me retourne. Où est la compagnie ?

J’ai sauté dans la tranchée, elle est vide. Je m’attendais à être cueilli, mais l’ennemi a fui. Et voici Goël, Vandervoode, Legrand à mes côtés. « Où sont les Boches ? — Attendons, leur dis-je. D’abord, combien sommes-nous ? »

Nous nous sommes comptés. Voici Soufflaut, Lanckmans, Forgeat, des jeunes de la classe 16, venus d’hier et dont j’ignore les noms. Et voilà sur le terrain les morts, et voici les blessés qui, sous le feu des mitrailleuses, se traînent pour atteindre jusqu’à nous. — « Mon lieutenant, me dit Vandervoode, j’ai de l’excellente fine que j’emporte toujours au combat. » En frères, avec les autres, nous la partageons. Nous sommes là, ardents, fiévreux et cherchant notre rôle. Les mitrailleuses nous frôlent de leurs balles ; le canon s’est mis de la partie. Notre assaut a porté ; c’est l’effort qui a secoué l’arbre, et voici que les fruits nous tombent sur la tête : ils sont d’acier. Les blessés crient, ils appellent. Lanckmans nous garde à gauche, Forgeat à droite, le danger est sur nous ; avec dix hommes nous sommes isolés chez l’ennemi. Je suis peu rassuré, mais soutenons le moral. Un bout d’enveloppe à