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suscription teutonne gît à terre ; je le prends, j’y inscris hâtivement le nom qu’à son tour chacun me donne : « Vous aurez tous la croix de guerre. »

Nous avons exploré, reconnu des tranchées : un système entier à présent, sans défenseurs. Des cadavres de zouaves, de chasseurs ennemis. Mais la position est de premier ordre et nous sommes à dix pour la défendre. Il ne faut pas abandonner cela.

— Mon lieutenant, on vous disait tué.

C’est Dudot blessé, la poitrine en sang, et qui me tend la main ; il se traîne.

— Où en sommes-nous ?

— Je n’en sais rien ; mais, à mon avis, nous sommes coupés de toute communication avec le régiment, et nous allons être cueillis.

J’ai demandé du papier, je jette quelques notes brèves pour le colonel, ceci ou à peu près : « Je ne sais pas où je suis, mais la position est de premier ordre, et je n’ai que dix hommes pour la garder. Je demande l’envoi d’urgence de deux compagnies. »

Le pli est parti. — Mais ne pourrait-on par-là communiquer plus aisément avec le régiment ? Nous suivons, Dudot et moi, deux cents mètres d’un boyau qui se bouleverse sous la mitraille, tendant l’oreille aux sons humains, parmi les balles et les obus qui frappent. Soudain un sursaut. Les Boches ! Nous sommes chez eux, à vingt mètres, une section entière dans un boyau perpendiculaire à celui que nous suivons. Ils s’avancent l’œil fixe, des pétards dans la main. Nous ne sommes que trois, Dudot blessé à la poitrine, Langlier, la main broyée, et moi avec mon revolver ; encore m’aperçois-je qu’il est vide. Couchés et retenant nos souffles, nous regardons l’ennemi. Il va droit au danger, l’œil comme halluciné. Aucun n’a détourné la tête, n’a jeté un regard vers nous ; où serions-nous dans ce cas à cette heure ?

Nous voici revenus au centre des tranchées.

— Votre pli est revenu ; le messager est blessé. Que faire ?

— J’y vais, mon lieutenant, dit Dudot.

— Non, lui dis-je, tu es blessé, tu ne pourrais pas te traîner.

— Je ne suis plus bon à rien ; vous ne serez pas privé d’un