Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/842

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

côté aberrant, il a plié la tête trop facilement, et je trouve ses derniers essais pâles, et ne répondant pas à l’audace de ses débuts. Je cherche à lui rendre cette audace première, parce qu’elle lui avait inspiré de très beaux élans. J’ai trouvé dans son portefeuille une espèce de nouvelle chevaleresque et fantastique, où il y avait de très belles choses, et aussi de très mauvaises. Je la lui ai fait reprendre et recommencer. Si vous voulez vous en rapporter à moi, vous la prendrez. Vous savez que je n’ai guère la prétention de m’y connaître. Cependant, que je me trompe ou non sur le travail actuel de Mallefille, c’est, je crois, un talent à essayer, même plusieurs fois. Je ne vous parle pas de son être moral qui est d’une bonté et d’une noblesse parfaites ; mais sous le rapport intellectuel, il y a certainement quelque chose en lui, ne fût-ce qu’une grande volonté, beaucoup de travail et une instruction plus solide et plus étendue que chez la plupart des jeunes gens qui écrivent.

« Il a fait faire à Maurice, sous tous les rapports, des progrès étonnants, et il gouverne mon lion de Solange comme un agneau. Dites-moi donc si vous voulez de son travail. Je me suis mis en tête de lui faire écrire trois drames bibliques non représentables. Je voulais les faire, mais le temps et la santé me manquent pour tout ce que j’ai dans la cervelle, et puis je ne sais pas assez bien l’histoire ancienne universelle. Il est tout ferré de neuf sur ces questions, et fera, je crois, quelque chose de bien.

« Après lui, j’ai pour vous un autre rédacteur à vous proposer, mais celui-là n’est pas pressé, c’est un philosophe et un écrivain qui vous arrivera tout formé. Celui-là, j’ose vous en répondre tout à fait. C’est mon abbé[1]dont je vous ai souvent parlé, et que je retiens depuis deux ans dans les liens du clergé, ne le trouvant pas mûr pour lever son drapeau. Le voilà enfin d’accord avec lui-même, et il va faire son 18 brumaire. C’est un secret que je vous confie, et qui n’en sera point un dans quelques jours. Cet homme, sans être un génie, doit marquer un jour, et par sa conduite, et par sa position, et par ses idées. Elles sont simples, nettes et fermes. Son style seul suffirait pour en faire un écrivain remarquable. Mais il faudra

  1. L’abbé Rochet.