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machiavélisme de Frédéric II, infiniment plus cynique que celui du Prince, ne répugnerait-il pas à ce genre de combinaisons. Mais peut-être la vérité est-elle que l’Allemagne est empêtrée, ù ne plus savoir quel parti prendre. Nous disions assez récemment qu’elle était obligée maintenant de traîner trois poids morts. Ce n’est pas trois, mais quatre : la Russie est le quatrième ; et ce n’est pas le moins lourd, parce que combien mort! En Autriche-Hongrie, Seidler abattu, les Burian, les Czernin se débattent trop pour qu’on ne soit pas dans les transes. Le Bulgare est énigmatique. Le Turc s’émoustille, et prend au sérieux sa résurrection. Tout le reste du monde est ennemi ou hostile.

La seconde victoire de la Marne, qui de jour en jour se dessine et se développe, pourrait bien, avec le temps, changer de nom et s’appeler, du mot répété dans tant de télégrammes et de discours, « la victoire finale. » Mais avec du temps et de la constance, une constance ferme, un temps que nous ne connaissons pas. Les premières minutes du quart d’heure de Nogi sont passées, mais les premières minutes seulement, et ce quart d’heure, comme les années bibliques se mesurent par des siècles, peut se mesurer par des mois. Il n’importe; ou plutôt si : il importe beaucoup aux peuples qui souffrent et qui saignent, à la terre dévastée, à l’humanité désolée, à la civilisation suspendue. Mais ce n’est pas ce qui importe le plus. La vieille devise vénitienne, aussi utilitaire qu’épique, disait : Navigare necesse est, vivere non necesse. De même, pour nous, il n’est pas nécessaire de vivre, il est nécessaire de vaincre. Il ne vaudrait plus la peine de vivre, si nous n’avions pas vaincu. Nous vaincrons. Nous avons tout ce qu’il faut pour vaincre, et encore une fois que faut-il? L’unité dans la nation, l’union entre les nations. Que la nation ait le gouvernement, et l’armée, le commandement qu’elles méritent. Que le gouvernement mérite la nation, et le commandement, l’armée qu’ils ont. Que, par nonchalance, irrésolution, faiblesse, incapacité, idéologie de secte ou phobie de parti, le pouvoir ne soit pas employé à ronger et rogner l’initiative.


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant, RENE DOUMIC.