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LE SENTIMENT DE LA DEFAITE

Il a suffi d’un mois pour ruiner toutes les espérances de l’Allemagne, rompre le « front intérieur. » Vers le milieu d’août, le découragement a envahi toutes les classes de la société. Chaque jour de fausses nouvelles circulent dans la foule, plus nombreuses et plus désastreuses. Soupçonnant enfin qu’il a été berné par son gouvernement, le peuple refuse d’ajouter foi aux informations officielles, mais sa crédulité est inépuisable, il accueille maintenant les rumeurs les plus folles, les plus menaçantes : Hindenburg s’est suicidé ; sur le front, des régiments ont passé à l’ennemi, d’autres se sont mutinés ; les Anglais ont attaqué Heligoland ; les itinéraires des sous-marins ont été dévoilés par des officiers, et les traîtres ont été fusillés... Un autre jour, l’alarme vient des milieux financiers : les anciens emprunts de guerre auraient baissé de moitié. Hindenburg lui-même est forcé d’intervenir et de mettre solennellement la nation en garde contre « la propagande ennemie. » Rien n’y fait : les fausses nouvelles continuent d’empoisonner les imaginations, d’énerver les courages.

Les voiles sont déchirés. Cette France que l’on disait « saignée à blanc, » reconquiert pied à pied son territoire perdu. Cette Italie qu’on prétendait exténuée, a reconstitué ses armées. La guerre sous-marine est de jour en jour moins efficace, moins dangereuse pour l’ennemi. La Russie, d’où devaient affluer les céréales, n’a fourni à l’Allemagne que des ressources dérisoires. L’Amérique qui, au dire des « experts militaires, » ne devait faire passer en Europe qu’un petit nombre de régiments inaptes à la grande guerre, déverse de magnifiques armées sur le continent. Les experts militaires continuent, il est vrai, de soutenir que si « les Etats-Unis ont fait peut-être un effort dont plus d’un, même en Amérique, ne les croyait pas capables, » ils ne pourront pas « engager le plein de leur force militaire avant 1919 ou peut-être 1920. » Mais l’Allemagne ne croit plus en ses « experts militaires. » D’ailleurs, avant 1920, la partie sera jouée et perdue : chacun en est désormais convaincu.

Les « dirigeants » rappellent à la nation qu’elle a, depuis quatre ans, traversé des crises aussi terribles et qu’elle a toujours surmonté le péril grâce à la bravoure des soldats, à la