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de la France qu’avec haine ou commisération, ils la proposent en exemple à leurs compatriotes ; tantôt ils regrettent de ne pas posséder chez eux un homme de la trempe de Clemenceau, un homme qui « fasse la guerre » et « dresse au premier plan la volonté nationale pure et simple ; » tantôt ils souhaitent à l’Allemagne ce courage, cette ténacité dont la France a donné de si belles preuves. Ce qui ne les empêche pas, le lendemain, — toujours pour rassurer leurs lecteurs, — de soutenir que cette même France, lasse et épuisée, ne songe qu’à jeter Clemenceau par terre et à conclure une bonne « paix de conciliation. » Au public de se reconnaître au milieu de ces incohérences ! Tout le monde perd la tête, la nation et ses dirigeants.

Les échecs incessants subis sur le front occidental ne sont pas la seule cause de trouble. Ceux qui, au début de 1918, redoutaient les grands desseins de Ludendorff, pensaient que, si l’Allemagne échouait dans l’Ouest, elle pourrait, du moins, se dédommager en Russie ; mais, de ce côté-là aussi, les espoirs s’évanouissent. L’Allemagne n’a pu obtenir aucune réparation pour le meurtre de son ambassadeur, Mirbach. Les Tchéco-Slovaques poursuivent leur avance. Des troupes anglaises et françaises ont débarqué sur la côte mourmane. La diplomatie allemande hésite, tâtonne, négocie avec les Cadets, sans cesser de soutenir les Bolcheviks, se rend suspecte à tous les partis. En Ukraine, des bandes armées s’opposent aux réquisitions, le général Eichhorn est assassiné, les employés des chemins de fer se mettent en grève. En Finlande, la comédie de l’élection d’un roi n’est prise au sérieux par personne. En Pologne, les germanophobes remportent. Enfin la pitoyable mésaventure de Helfferich qui, après huit jours d’ambassade, s’enfuit précipitamment de Moscou à Berlin, marque la ruine de toutes les ambitions allemandes en Russie.

A tant de motifs d’alarme, il faut joindre les divisions et les embarras qui réduisent l’Autriche-Hongrie à l’impuissance et annoncent son écroulement prochain.

La paix souhaitée, la paix qu’on avait cru tenir quand les armées allemandes se ruaient sur Paris, s’éloigne chaque jour davantage. Nous devrons combattre encore l’hiver et l’été prochains : cette parole, tous les Allemands se la répètent avec désespoir. Et alors se présente à leur esprit l’idée d’une paix de défaite, d’une paix coûte que coûte.