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Tandis que l’armée bat en retraite devant les Anglais, devant les Français, devant les Américains, et que l’Allemagne perd successivement tous les gages qui jadis devaient lui garantir une « paix de conciliation » fructueuse, tandis que l’Autriche s’écroule et capitule, que la Turquie signe un armistice, l’opinion est moins préoccupée de toutes ces catastrophes, d’ailleurs prévues, que du terrible désordre de la situation intérieure. Durant la première semaine de novembre, la terreur du bolchévisme et le désir de se débarrasser de l’Empereur obsèdent toute l’Allemagne.

Il y eut alors des troubles à Berlin, à Munich, à Stuttgart, à Kiel. Quels en furent le caractère et la gravité ? Il est encore difficile de le savoir d’une façon précise à l’heure où nous écrivons ces lignes. Il semble que seules les mutineries de la flotte furent des tentatives révolutionnaires analogues aux exploits des maximalistes russes. Les autres émeutes paraissent avoir été aisément réprimées par les forces de police. Ioffe, l’ambassadeur des Soviets, fut invité à quitter Berlin et ses agents furent incarcérés. À lire la presse allemande, on a l’impression que la bourgeoisie trembla et que la puissance des ministres socialistes en fut accrue. Mais défions-nous des récits des journaux. Destinés à passer la frontière, ils avaient, sans doute, pour objet d’effrayer les gouvernements de l’Entente et de les décider à conclure la paix le plus rapidement possible, afin que l’ordre se rétablit en Allemagne et que la contagion du bolchévisme ne s’étendit pas à toute l’Europe.

Quant à la question de l’abdication de l’Empereur, elle était ouvertement discutée depuis plusieurs semaines, et il était manifeste qu’une partie de l’opinion publique était prête à accepter la déchéance du souverain, et même de la dynastie, pour parachever la « démocratisation » réclamée par le président Wilson. On avait d’abord espéré que l’Empereur se sacrifierait de gaité de cœur et comprendrait la leçon que lui avait donnée Ludendorff en se laissant « démissionner. » On lui rappelait que « Codrus s’était fait tuer parce qu’un oracle avait promis la victoire au pays dont le souverain disparaîtrait. » (Berliner Tageblatt, 21 octobre.) Et le 31 octobre, le Vorwærts écrivait : « Que fera l’Empereur ? Quand le fera-t-il ? » Mais l’Empereur semblait peu disposé à écouter l’invitation des socialistes. Ceux-ci menacèrent alors de se retirer du ministère, si Guillaume II