Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et notre intérêt, mais personne n’avait jamais cru que le dernier acte serait aussi bref, que l’Allemagne serait aussi prompte a s’abandonner : son agonie aura duré moins de quatre mois.

D’où vint cette brusque défaillance d’un peuple qui jusqu’au dernier jour montra sur les champs de bataille une ténacité inlassable, une bravoure intrépide ? Comment tant de vaillance militaire peut-elle se réunir à tant de lâcheté politique ? C’est un des mystères de l’âme germanique, un bon sujet de méditation pour les psychologues ; mais cette déchéance vertigineuse a ses causes morales et physiologiques.

Il faut d’abord se représenter l’immense déception de ce peuple orgueilleux, le jour qu’il sentit la partie perdue. Il faut se souvenir de quelles convoitises il était enflammé, quand la guerre éclata. En 1913, ce même Ludendorff qui devait présider aux triomphes et aux désastres de l’Allemagne, écrivait : « Si l’ennemi nous attaque ou si nous voulons le dompter, nous ferons comme nos frères d’il y a cent ans ; l’aigle provoqué prendra son vol, serrera l’ennemi dans ses serres acérées et le rendra inoffensif. Nous nous souviendrons alors que les provinces de l’ancien Empire allemand : comté de Bourgogne et une belle part de la Lorraine sont encore aux mains des Francs, que des milliers de frères allemands des provinces baltiques gémissent sous le joug slave. C’est une question nationale de rendre à l’Allemagne ce qu’elle a autrefois possédé. » Et le rêve du Grand État-major fut celui de la nation tout entière. Il faut se rappeler les enthousiasmes populaires de 1914, l’extravagant manifeste des intellectuels, les requêtes des grandes associations industrielles et agricoles, le délire annexionniste qui grandissait à chaque victoire, les desseins d’hégémonie universelle, les projets d’un empire asiatique, le plan du Mitteleuropa, etc... Sans doute, aux heures difficiles, l’humeur de ces conquérants devenait un peu plus accommodante, mais, le péril écarté, toutes les ambitions se déchaînaient avec une violence nouvelle : on le vit bien, quand, après Caporetto et la révolution maximaliste, la Germanie se crut maîtresse du monde. Au sortir d’une pareille ivresse, elle resta abasourdie, inerte : tous les ressorts de sa volonté étaient brisés, toutes ses énergies anéanties.

A l’amertume de la désillusion, il convient d’ajouter les terribles effets du blocus. Ils furent à peu près nuls pendant