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devenaient-elles chaque jour plus alarmantes. Des maladies nouvelles causées par l’insuffisance ou la mauvaise qualité des aliments, surtout par le manque de graisse, faisaient leur apparition. Les cas de tuberculose se multipliaient. Une terrible épidémie de grippe ravageait les grandes villes. Dans les écoles, on constatait que la croissance des enfants était ralentie.

Le manque de certaines matières augmentait encore les difficultés de la vie et les servitudes de chacun. Depuis longtemps il n’y avait plus de cuir pour fabriquer les chaussures. L’État maintenant réglementait l’emploi des étoffes, fixait le nombre et la dimension des poches pour chaque vêtement, prétendait se faire remettre les habits superflus et ordonnait l’inventaire de toutes les garde-robes. Il réquisitionnait le linge des hôtels et, à la dernière foire de Leipzig, les visiteurs étaient prévenus qu’ils devaient apporter leurs draps et leurs serviettes.

La disette, la gêne, les ressentiments, les souffrances et les ennuis développaient tous les instincts malfaisants de ce peuple brutal et pillard. On volait les chiens pour les abattre ; on volait les cartables des écoliers dans la rue, les tableaux dans les musées, les rideaux et les lits dans les hôtels, les courroies de fenêtres dans les wagons. Des bandits en pleine campagne arrêtaient et pillaient des trains de marchandises. Le chiffre des indemnités versées par les Compagnies d’assurance contre le vol, du 1er janvier au 15 avril 1918, excédait de 370 pour 100 celui de toute l’année 1915. Les enfants, privés de la surveillance paternelle, formaient de véritables associations de malfaiteurs. Tous les jours la presse publiait, le récit de meurtres, d’incendies, d’empoisonnements commis par des mineurs.

Un vent de folie soufflait alors sur l’Allemagne. La foule se chuchotait de fausses nouvelles, et les plus extravagantes étaient les mieux accueillies. Des paniques soudaines se produisaient dans les rues. Partout s’ouvraient des tripots et des cabarets clandestins. Somnambules, devineresses, magiciens et guérisseurs faisaient fortune. Des escrocs spéculaient sur la crédulité publique en se donnant pour d’illustres personnages. La débauche, naguère dissimulée avec tant d’hypocrisie, s’étalait au grand jour. Enfin, comme à l’approche des grandes catastrophes, tout le monde avait soif de plaisir. Au moment où l’Allemagne se sentait sous la menace de l’invasion, les tenanciers