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par un coup de tête, infliger une telle peine à son bienfaiteur ? Peut-être Lloyd George songea-t-il aussi à son petit pays, aux services qu’il pourrait lui rendre, aux réformes religieuses et politiques pour lesquelles il était à même désormais de combattre. C’est par amour de sa famille et de son village qu’il résolut, en cette première crise, de rester à Londres. Il se consacrait à la politique contre son propre gré, non par ambition, mais par devoir. C’étaient ses souvenirs qui le poussaient en avant, de la petite chapelle à la tribune.

Le voilà donc aux Communes, déjà remarqué par sa singularité, tranchant sur ses collègues et ses amis par son allure, sa vivacité, ses audaces, le tour de son esprit et de son éloquence. Il pique davantage la curiosité qu’il ne provoque l’admiration. Il semble une anomalie plutôt qu’une force. Il garde des violences de timide. Il apparaît comme une espérance énigmatique et surtout comme une menace équivoque. Mais voici son heure, l’heure de sa conscience intransigeante et de sa volonté puritaine, où tout le pays va pouvoir le juger.

Nous sommes en 1899. Chamberlain règne. Sans doute, nos amis Anglais, qui n’aiment pas moins la vérité que la liberté, nous pardonneront-ils d’évoquer en passant cette rapide époque de leur histoire où le premier ministre d’aujourd’hui s’est trouvé presque seul contre tout l’Empire... ? Sous l’impulsion souveraine de Chamberlain, la Grande-Bretagne vient de déclarer la guerre aux deux petites Républiques Sud-Africaines. Lloyd George voyage au Canada. Dès qu’il apprend l’événement, il interrompt son voyage, rentre dans son pays qu’il trouve brûlant d’enthousiasme. Il est jeune : il a à consolider une situation encore incertaine dans une carrière qui s’ouvre magnifique. Qu’importe ? Ce mouvement unanime qui entraine momentanément sa patrie, il le réprouve. A peine débarqué, il se lance à cœur perdu dans une croisade contre la guerre. Il va au peuple, mais le peuple, même de la part de ceux qu’il aime, n’accepte d’entendre que ce qu’il désire. En vain se consume la flamme du missionnaire de la paix. Les foules, qui l’avaient acclamé, ne le reconnaissent plus. Elles l’accueillent par des huées, des injures, des menaces de lynchage. Dans son propre pays, Lloyd George se trouve en péril, et ce péril l’exalte. Sa parole prend l’accent sublime de ceux qui ont tout sacrifie ; à leur croyance et qui sont isolés. A Carmarthen, où il prononça