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de l’une n’était plus celle de l’autre ; elles travaillaient en sens inverse et les Lords ne cessaient de contrecarrer les députés : situation qui devait aboutir à un conflit, conflit qui exigeait un homme neuf. M. Lloyd George peut devenir ministre, d’abord au Commerce, où il révèle ses incomparables facultés d’assimilation et d’improvisation, puis dans le cabinet de M. Asquith, en 1908, chancelier de l’Échiquier. Désormais, c’est lui qui tient les cordons de la bourse de l’Empire et peut en disposer à son gré. Ses anciens rêves, il va les réaliser. Ses budgets, il va les dresser, entre deux voyages au village natal, en songeant à l’œuf qu’on partageait le dimanche.


V

Date mémorable dans l’histoire sociale de notre alliée, que le jour où, à la Chambre des Communes, sur le coup de trois heures, dans le brouhaha des commencements de séance, le chancelier de l’Échiquier Lloyd George, un énorme portefeuille sous le bras, gagna d’un pas vif et nerveux sa place au banc des ministres, entre M. Asquith et M. Churchill ! Aujourd’hui encore, M. Lloyd George ne peut entendre sans un battement de cœur le Président prononcer son nom et lui donner la parole. Qu’on imagine, ce jour-là, le singulier mélange d’audace intellectuelle et de timidité physique qui lui serra la poitrine pendant les quelques minutes où on le vit, une jambe croisée sur l’autre, attendre son tour. Il était pâle, les yeux ardents. Par instants, il jetait un regard rapide sur l’assemblée. Tout son être exprimait la tension intérieure. Quand enfin retentit l’appel : « Monsieur le chancelier de l’Échiquier, » il gagna lestement la tribune. Il avait l’air tout petit, l’air d’une insignifiante silhouette perdue dans le tumulte d’une salle qui se remplit. N’eût été la hâte avec laquelle chacun regagnait sa place, la présence dans les galeries des auditeurs les plus marquants, des ambassadeurs étrangers, des membres de la Chambre des Lords, des grandes dames titrées, qui eût pu se douter que ce modeste personnage, en dépliant sa serviette, ouvrait une bataille qui ne durerait pas moins d’un an ?

Pour exposer son budget, M, Lloyd George commença d’une voix basse, sur le ton de la conversation. Ses principes directeurs étaient simples. Il posait d’abord les besoins de la nation, parmi